Beaune 2011, Jour 1 : Les braquages sanglants de Vallenzasca et les vins travaux d’Hercule

Publié le 31 mars 2011 par Boustoune

Je me souviens de salles obscures et de nuits blanches…
Je me souviens des effluves de grands crus et de mets raffinés…
Je me souviens des remparts moyenâgeux et des toits colorés…
Je me souviens des rues pavées de Beaune…
Je me souviens de ce printemps 2011…

J’étais alors un jeune flic, un “bleu” ou une “bleusaille” comme disaient les anciens. Un poussin parmi les poulets, un rookie pas très férox, comme aurait dit Walt Disney…
Je venais juste de décrocher mon diplôme à l’académie de police de Paris (à ne pas confondre avec les branquignols de la Police Academy de Los Angeles, les Mahoney, Jones, Taggart et autres débiles profonds, hein…), avec mention “excellent”.
Il faut dire que j’avais eu un bon professeur, le Sergent Scaramouche, un flic du genre Blacksad, tout en allure féline et en sixième sens animal. Il m’avait appris à être tenace, pugnace, salac… euh non, froid et solide comme de la glace, et le tout avec infiniment de classe. J’avais ainsi pu briller à  tous les exercices de simulation de l’académie, plongées au coeur de l’action ou situations nécessitant diplomatie, discrétion et intelligence.

C’est sans doute pour cela que ma hiérarchie, en dépit de mon inexpérience, m’avait sélectionné pour une délicate mission d’infiltration à Beaune, la capitale des vins de Bourgogne.
Un indic avait laissé entendre que quelque chose de louche se tramait autour de la troisième édition du festival international du film policier, qui a lieu chaque année dans cette ville. Il fallait donc tenter d’en savoir un peu plus, mais tout en finesse, car la manifestation impliquait des notables, comme le maire de Beaune, Alain Suguenot, et des policiers haut-gradés comme la commissaire divisionnaire honoraire Danielle Thierry, le chef des affaires criminelles de la DRPJ de Versailles, Philippe Guichard, Shen Yong, commissaire rattaché à l’ambassade de Chine en France, ou encore Brigitte Julien et Michel Lepoix…

Pour enquêter incognito, il me fallait absolument une couverture. Mes supérieurs eurent l’idée géniale – ils ne sont pas chefs pour rien, hein… – de me faire passer pour un critique de cinéma. Ils demandèrent à Monsieur PaKa, un ancien justicier masqué connu sous le pseudonyme de Spiderman et reconverti dans le web-journalisme, de m’engager temporairement dans cet excellent site de cinéma qu’est Angle[s] de vue et de m’envoyer chroniquer le festival.

Après deux petites heures de train, j’arrivai à Beaune, transformée pour l’occasion en véritable ville de film noir, avec ses petites ruelles pavées et tortueuses, ses caves sombres, ses boutiques redécorées aux couleurs du festival,… Même la météo s’était mise au diapason de cette ambiance de polar : ciel gris sombre et pluie battante.
Trempé, je parvins à gagner le bureau du festival, où m’attendais mon accréditation, précieux sésame me donnant accès à toutes les projections…

…Ou presque. En effet, la cérémonie d’ouverture n’était accessible qu’aux personnes munies d’invitations individuelle. Pour contourner ce premier obstacle, je dus user de mon charme et de ma persuasion auprès de la responsable des relations avec la presse, Agnès Leroy, une brune piquante à l’allure de femme fatale. Mon petit numéro de séduction dut faire effet, puisque la ravissante créature m’octroya non seulement un laisser-passer pour la cérémonie, mais également un carton d’invitation pour le dîner d’ouverture “la paulée du polar”. 

C’est donc l’esprit tranquille que je me rendis au Cap Cinéma, le cinéma de la ville, transformé pour l’occasion en véritable antre du polar, avec ses six salles mises à disposition des festivaliers amateurs de film de genre. Sur place, je rencontrai les deux “confrères” cinéphiles qui avait été mis à ma disposition pour palier à mes éventuelles lacunes cinématographiques. D’une part, Marc-George, critique émérite et mémoire vivante du septième art, incollable sur les vieux films et les séries d’antan. De l’autre, Hughes, docteur en cinéma et festivalier aguerri. Des types sympathiques qui me permirent de patienter jusqu’à l’ouverture du festival en discutant de choses et d’autres, et de septième art évidemment…

La cérémonie fut assez brève. Comme de coutume, le maire ouvrit les débats avec un petit discours remerciant tous les partenaires de la manifestation et insistant sur la variété des oeuvres proposées, puis Lionel Chouchan, l’organisateur, y alla aussi de son petit couplet avant de présenter les différents jurys. L’officiel, d’une part, présidé par le cinéaste Régis Wargnier et comprenant dans ses rangs Mireille Darc, Florence Pernel, Linh-Dan Pham, Fred Cavayé, Clovis Cornillac, Thierry Frémont, Gaël Morel et Stefano Accorsi, qui apparemment n’était pas encore arrivé. Le Jury Sang Neuf, d’autre part, présidé par Frédéric Schoendorffer et incluant Valérie Expert, Léa Fazer, Florence Thomassin et Jean-Christophe Grangé. 

Puis, Lionel Chouchan rendit hommage à une figure du cinéma et du théâtre italien, à la fois acteur, réalisateur, metteur en scène : Michele Placido.
L’homme était évidemment présent pour cet éloge, et vint sur scène pour dire quelques mots à l’assistance. Je frémis lorsqu’il annonça être “très heureux d’être venu pour le festival du crime”. Diantre! Un festival de crimes ?!? Etait-ce là la menace dont avait parlé notre indic’? Cette manifestation était-elle la réunion d’un groupe de psychopathes sanguinaires venus s’étalonner les uns aux autres avec la liste de leurs victimes?
Les rires du public me rassurèrent. En fait, Michele Placido ne se rappelait juste plus de l’intitulé du festival, et l’avait prononcé à l’anglaise – ou peut-être à l’italienne…
Il raconta que son dernier film, Vallanzasca, lui avait valu les foudres de certaines ligues de morales, lui reprochant d’avoir dressé le portrait d’un criminel et dit non sans humour que si on ne devait filmer que des choses morales, un festival comme celui de Beaune n’existerait pas.

Cela dit, à la vision du film, je compris ce qui put choquer les moralisateurs de tous poils, et j’en parlai dans ma brève critique du film. Hé oui, j’étais quand même tenu d’écrire quelques textes, histoire de ne pas éveiller les soupçons. Voici ce que j’écrivis :

Vallanzasca :

Renato Vallanzasca existe bel et bien. C’est un truand milanais qui a sévi dans les années 1970-1980 et qui, aujourd’hui purge une peine de prison équivalant à quatre perpétuités. Un type violent, forcément, qui n’a pas hésité à tuer des policiers au cours de ses braquages et de ses nombreuses cavales, mais qui, paradoxalement s’est attiré la sympathie de nombreux italiens. Il faut dire que le bonhomme était hâbleur, doté d’une certaine facilité pour débiter des répliques choc et particulièrement charmeur et charismatique. A l’écran, il l’est d’autant plus qu’il est incarné par le beau Kim Rossi Stuart, qui trouve ici l’un de ses rôles les plus marquants. Il faut dire qu’il est également coscénariste du film, donc qu’il a pu se façonner un rôle sur mesure. On n’est jamais mieux servi que par soi-même…

Le film retrace de façon à peu près linéaire le parcours criminel de Vallanzasca. Enfance difficile dans un contexte familial particulier, placement dans un foyer d’accueil  où il a rencontré ses futurs complices, puis, rapidement, des petits larcins, et des plus gros, jusqu’à des braquages armés spectaculaires, violents et meurtriers…
Le portrait du bonhomme dressé par Michele Placido est complexe et ambigu. Renato Vallanzasca est clairement dépeint comme un individu ayant le crime dans le sang, doué pour l’organisation et l’exécution de braquages de banques, et prêt à tout pour conserver sa liberté. Mais dans le même temps, il apparaît comme un homme sympathique. Comme il l’affirme aux forces de l’ordre, il n’est pas méchant, il a juste “un côté sombre très développé…”. 

D’ailleurs, au début de sa carrière criminelle, s’il ne refuse pas la violence, il n’est pas partisan de l’usage des armes. Pour lui, les pistolets et les fusils ne doivent servir qu’à dissuader les guichetiers de banques et les clients de jouer les héros, et à intimider les policiers pour protéger leur fuite. Certainement pas à blesser ou à tuer. Il ne faut faire feu qu’en dernier ressort, car il sait très bien qu’à partir du moment où il y a homicide, il n’y a plus d’échappatoire à cette vie de truand.
C’est d’ailleurs bien malgré lui que Vallanzasca dérive vers le grand banditisme, après qu’un de ses complices ait usurpé son identité lors d’un contrôle de police qui a dégénéré, conduisant à la mort  d’un flic…   C’est du moins la version avancée par le film.
De la même façon, plusieurs crimes attribués au truand milanais seraient en fait l’oeuvre de certains de ses complices trop nerveux. Et en fait, les principales étapes clés du parcours criminel de Vallanzasca ne reposent que sur des maladresses de son équipe. Ce sont les erreurs de quelques-uns qui l’ont précipité dans une spirale de violence et de crime de sang… L’homme était un bandit, d’accord, mais sa destinée aurait peut-être été différente sans ces bourdes meurtrières…

Difficile de ne pas penser à la carrière de Jacques Mesrine, autre gangster charismatique rebelle au système et à l’ordre établi. Difficile, aussi, de ne pas penser au diptyque que Jean-François Richet lui a consacré. C’est là que le bât blesse. Vallanzasca  sort après Mesrine, ce qui en atténue et la portée, et l’originalité. Et le destin du truand italien n’a pas la dimension tragique de celui du braqueur français…
Cela dit, Michele Placido est aussi moins ambitieux que son homologue transalpin. Il n’entend pas révolutionner le cinéma  et fait ce qu’il sait faire : une grande fresque où se mêlent petite et grande histoire, traitant en parallèle des thèmes de la violence et de la rébellion. Un peu dans la lignée de son film précédent, Une histoire italienne, ou, mais en nettement moins convaincant, de Romanzo criminale
Au final, le film n’innove pas, ne bouleverse pas non plus, mais il est toutefois intéressant, ne serait-ce que pour le jeu des acteurs, tous très bons.  

Mon style était mal assuré. Je n’étais pas un virtuose des mots. Mais je fus assez satisfait de cette expérience plumitive primitive. En revanche, mon enquête ne donnait rien de concret. Il me fallut donc poursuivre mes investigations du côté du cocktail dînatoire, au Bastion des Hospices . 

   

Sur place, je me rendis vite compte de l’épreuve qui m’attendais. Le cocktail correspondait à un parcours gastronomique herculéen. Une quinzaine de stands correspondant à autant de petites bouchées concoctées par les chefs des meilleurs restaurant de la ville et des environs, et de vins locaux en accord parfait avec les plats proposés.
Cela commençait par un cocktail apéritif concocté par Le Bistro des cocottes, puis on pouvait goûter, par exemple,  un “taboulé de quinoa avec queues d’écrevisses marinées aux agrumes, émulsion de citron à la fève de tonka” proposé par Le Relais de Sainte-Marie, avec un verre de Viré-Clessé, une “verrine de foie gras” du restaurant La Garaudière avec un Santenay blanc, un “saumon mi-cuit aux épices, purée de betterave” de La Part des Anges, accompagné d’un Marsannay rouge… Un cauchemar pour le buveur d’eau et l’athlète svelte, à l’hygiène de vie parfaite, que j’étais alors… Moi qui avait l’habitude de me prendre une petite soupe, deux feuilles de salade verte sans sauce et de me coucher à 21h tapantes me retrouvait soudain entraîné jusqu’au bout de la nuit à enchaîner les plats – verrine de cabillaud, brochettes de sot-l’y-laisse en croûte de Tandoori, antipasti à l’italienne, tartare de boeuf à la tapenade d’olives et romarin, sans oublier les plateaux de fromages locaux et les desserts, mousse de chocolats variés et soupe de fraises au nectar de cassis – et les verres de vins – Mâcon, Chablis, Mercurey, Pommard, Fixin, Gevrey-Chambertin, Beaune…

Ce fut l’enfer. Mon estomac se dilata dangereusement, les vapeurs d’alcool m’embrumèrent le cerveau, mais je tins bon, me faisant un point d’honneur à goûter tous les mets et tous les crus proposés. Je ne pouvais pas risquer de griller ma couverture, il me fallait me fondre dans la masse. D’ailleurs cette masse était, comment dire… massive. Peut-être étaient-ce les effets de l’alcool, mais j’eus l’impression qu’il y avait beaucoup plus de monde à ce cocktail que dans la salle de cinéma… Il faudrait peut-être creuser cette piste ultérieurement. A part cela, je ne constatai rien de véritablement suspect sur les lieux. Autrement dit, je fis chou blanc – en mousse avec émietté de crabe et jambon serrano et verre de Mâcon Montbellet blanc.

Titubant, je réussis à me rendre jusqu’à mon hôtel. Je me couchai presque instantanément, afin de récupérer en vue d’une journée de projections qui s’annonçait longue et périlleuse…

(A suivre)