Il y a longtemps que le suspense s’est évaporé : il est strictement impossible que l’Organisation mondiale du commerce soit en mesure de trancher et de mettre un terme ŕ l’interminable différend juridico-financier qui oppose Airbus et Boeing. Ils s’accusent mutuellement, avec véhémence, de fausser le marché ŕ coups d’aides illégales. Les accusations qui pleuvent de part et d’autre, débordantes de milliards d’euros et de dollars, sont de longue date bloquées, vitrifiées, dans une impasse de plus en plus opaque. Le bras de fer, de toute évidence, ne se terminera jamais et l’affaire fera finalement deux perdants.
En effet, le canal historique de la construction aéronautique civile cessera bientôt de reposer sur un duopole. Chicago et Toulouse se battront encore et toujours quand les compagnies aériennes auront commencé ŕ passer commande de Comac C919 chinois et d’Irkut MS 21 russes, deux nouveaux venus financés ŕ 100% par des fonds étatiques. Que feront-ils, ŕ ce moment ? Porter leur opposition devant l’OMC ? Seuls les avocats et les lobbyistes y trouveraient un intéręt.
C’est dans ce contexte surréaliste que sont révélées les conclusions Ťdéfinitivesť de l’OMC suite ŕ la plainte déposée en juin 2005 par la Commission européenne pour Ťsubventions prohibéesť dont aurait bénéficié Boeing. La réponse du berger ŕ la bergčre, dans un contexte de plus en plus nerveux et la montée en puissance d’un dialogue de sourds irrémédiablement voué ŕ l’échec.
Une nouvelle preuve en est donnée : Boeing affiche son incommensurable satisfaction ŕ la lecture des conclusions de l’OMC. Cette la lecture qui en est faite aux Etats-Unis permet en effet d’affirmer que 80% des accusations européennes ont purement et simplement été rejetées. Airbus aurait empoché l’équivalent de plus de 20 milliards de dollars d’aides illégales contre ŕ peine 2,7 milliards pour Boeing. Des pratiques auxquelles il conviendrait de mettre un terme, immédiatement et une fois pour toutes.
A la męme heure, Airbus clamait sa satisfaction aprčs avoir constaté, ŕ la lecture des męmes documents, que la vérité apparaît au grand jour, que l’OMC condamne les subventions Ťmassives et illégalesť dont a bénéficié son concurrent. Lesdites subventions, dit-on ŕ Toulouse, ont des effets pervers autrement importants que les avances remboursables accordées ŕ l’avionneur européen. Ce dernier voit d’ailleurs dans la formulation utilisée par l’OMC un feu vert lui permettant de continuer de faire appel ŕ cette méthode de financement.
Bien entendu, personne n’oserait dire que cette bataille sans fin revient ŕ comparer des pommes et des poires. De plus, outre-Atlantique, de maničre générale (mais l’OMC ne le dit évidemment pas), industriels, observateurs, analystes financiers et personnages politiques voient partout l’ingérence coupable des Etats européens lŕ oů seule devrait triompher une économie de marché pure et dure. On a pu le constater récemment, au cœur de l’affrontement sur le marché des ravitailleurs en vol de l’armée de l’Air américaine, EADS étant fréquemment qualifiée d’entreprise Ťsocialisteť, la pire des injures.
De toute maničre, les Américains ne comprennent pas la structure et la maničre de faire d’Airbus. Détail révélateur, repéré parmi beaucoup d’autres : dans un livre consacré ŕ l’amerrissage sur l’Hudson d’un A320 de US Airways, deux bons auteurs évoquent Airbus comme Ťun consortium de quatre Etats européensť (1).
Que faire ? Il faudrait quitter la salle d’audience de l’OMC, asseoir les protagonistes autour d’une table et négocier. Il y a urgence, dans la mesure oů la bagarre s’éternise, s’essouffle, alors que Comac et Irkut patientent déjŕ dans la salle d’attente. Vu sous cet angle, le duopole Airbus-Boeing présentait de solides inconvénients et, finalement, il est heureux de constater qu’il est condamné.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) ŤMiracle on the Hudsonť, par William Prochnau et Laura Parker, dont la traduction française vient d’ętre publiée par les Editions Altipresse.