J’ai su plus tard que ce jeune enthousiaste n’avait jamais pu exercer le métier d’ingénieur nucléaire. L’Union soviétique s’est désintégrée juste au moment où la structure de la première des deux unités prévues était achevée à 97%. L’herbe a recouvert une bonne partie du site et les morceaux du noyau, des générateurs de vapeur, les tours de refroidissement et même des sas d’isolation ont été laissés aux intempéries. Juraguà a été convertie en une nouvelle ruine, un monument aux délires de grandeur que nous a légués l’impérialisme soviétique. Les tempes grisonnantes, et tandis qu’il découpe des pièces de métal dans son nouveau métier de tourneur, l’ancien expert me dit maintenant : « c’est une chance qu’elle nait jamais fonctionné ». D’après le calcul qu’il a fait avec d’autres collègues les chances d’un accident nucléaire à Juragua auraient été de 15% supérieures à celles de n’importe quelle autre centrale nucléaire dans le monde. « Nous aurions fini avec l’île partagée en deux » me dit-il sans dramatiser. Je dessine dans ma tête un morceau de l’île d’un côté et un de l’autre, avec au milieu un trou fumant qui s’obstine à nous modifier la géographie du pays. Aujourd’hui alors que la centrale de Fukushima déverse ses résidus et que se répand la peur, je ne peux m’empêcher de me réjouir que ce réacteur n’ait pas vu le jour à Cienfuegos et que sous ce sarcophage de béton la réaction nucléaire n’ait jamais commencé. Je pressens que si ça avait été le cas tous nos problèmes actuels nous paraitraient minuscules et insignifiants face à l’avancée terrifiante de la radioactivité. Traduit par Jean-Claude MAROUBY
Voir aussi :
http://desdecuba.com/generaciony_fr/