Son intervention publique du vendredi 10 décembre à Lyon, où la vice-présidente du Front National qualifiait «d’occupation» les prières de rues des croyants musulmans, a bénéficié depuis d’une remarquable couverture par des médias friands de ce type de provocation. Obligeant ainsi les parti de gauche à se positionner. Or, impossible de résister à un tour d’horizon de ces positionnements, tant ils s’avèrent révélateurs d’errances idéologiques à l’égard de ces questions religieuses.
Première réaction, celle du Parti Communiste victime d’un «haut le cœur» à la lecture des propos de Marine Le Pen. Dans un communiqué très succinct mais incisif, le parti du colonel Fabien a dénoncé le «discours fascisant, raciste et négationniste» d’un parti «condamné de nombreuses fois par la justice». Inscrivant Marine Le Pen dans l’héritage de son paternel, le PCF a tenu à souligner la responsabilité de l’audiovisuel public accusé de «faire la promotion d’un discours raciste et xénophobe».
Le Parti de Gauche de son côté a condamné des «déclaration infamantes». Le parti de Jean Luc Mélenchon s’est positionné en véritable gardien de la laïcité. Pour cela, le PG s’est attelé à démentir tout caractère «laïque» dans des propos davantage inspirés d’une haine xénophobe plutôt que d’un souci de l’indépendance républicaine, rappelant les liens entre FN et intégristes catholiques.
Le NPA, quant à lui engagé dans la mobilisation contre la tenue à Paris d’Assises contre «l’islamisation de l’Europe», a rappelé la responsabilité de l’UMP et du «débat» sur l’identité nationale dans cette surenchère islamophobe tentée par Marine Le Pen.
Enfin, c’est au PS que la réaction fut la plus inattendue. Avec un certain aplomb, le porte parole du PS Benoît Hamon a fait le pari de prendre au sérieux la provocation de Marine Le Pen, partageant son indignation face aux prières de rue, «des situations qui ne sont pas tolérables beaucoup plus longtemps» a-t-il tranché, tout en se défendant de proximité idéologique avec l’extrême droite. “Ce n’est pas la laïcité qui préoccupe Marine Le Pen, c’est l’islam et ce sont les étrangers” a-t-il précisé.
Finalement, aucun des partis de la gauche n’a fait le choix de répondre sur le fond de ce propos, c’est à dire sur l’islamophobie portée par l’extrême droite. Certes, beaucoup ont relayé les remarques de la Mosquée de Paris qui, par la voix de son recteur Dalil Boubakeur, soulignait avec un certain bon sens que les musulmans ne prient pas dans la rue par plaisir. Surtout en plein hiver à 0°. Certes, le NPA a rappelé la responsabilité de l’UMP dans cette escalade populiste. Mais les partis de la gauche ont peu relevé une autre partie du discours de Marine Le Pen, pourtant beaucoup plus révélatrice du nouveau positionnement du Front National.
«Dans certains quartiers, il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel, ni juif, pas même français ou blanc». Provoquant des applaudissements hésitants de la part du public pourtant emballé par ses propos sur les prières de rue, Marine Le Pen a marqué par cette phrase une nouvelle phase politique dans laquelle entrerait le Front National.
Le FN prendrait ainsi la défense des homosexuels et des juifs face aux musulmans considérés comme intégristes dans leur ensemble. Difficile d’imaginer un tel positionnement dans le FN de Jean Marie ! Comment interpréter cela ? En le contextualisant dans la montée des extrêmes droites européennes post-11-septembre. De plus en plus attachées au discours «civilisationnel» défendu par Samuel Huntington dans son ouvrage Le Choc des Civilisations, les extrême-droites européennes se sont trouvées une nouvelle inspiration, une nouvelle mission dans la défense de l’Europe voulue fondamentalement chrétienne face au monde arabe hostile et dangereux. Ayant tardé à se saisir de se discours, le FN devenait menacé par des mouvements tels que la mouvance identitaire qui ont, de leur côté, fait de cette migration de la nation vers la civilisation, leur fer de lance idéologique. Inutile d’y voir pour autant une acceptation des croyants juifs ou de l’homophobie de la part du Front, tout est affaire de positionnement tactique.
Libération titrait en début de semaine «Le FN de papa». Pourtant, c’est probablement tout l’inverse. Rompant avec le racisme brutal et absolu de la vieille garde du FN incarnée par Bruno Golnish, la nouvelle génération FN se saisit de l’islamophobie comme d’un créneau de développement prioritaire.
Ce n’est plus le FN de papa, il s’agit d’un FN plus fin, plus ambitieux peut-être. En effet, à l’instar des extrême-droites autrichiennes, italiennes ou néerlandaises, le FN deviendrait ainsi plus «fréquentable» pour la droite dite «légitime». L’UMP se raidissant sur un discours de plus en plus xénophobe, le FN se concentrant sur la lutte anti-musulmans, les points de convergence apparaissent bien plus forts. Et pour reprendre une expression du sociologue Eric Fassin : «ce n’est plus le FN de papa, c’est le FN de Brice»…