Chassé du pouvoir, le président Ben Ali laisse un pouvoir vacant. L’opposition en Tunisie, encore incertaine de pouvoir l’occuper, bénéficie du soutien des partis de la gauche française.
Jean-Luc Mélenchon, du Parti de gauche, Marie-Georges Buffet, du PCF, et Olivier Besancenot, du NPA, étaient présents, samedi 15 janvier, à la manifestation parisienne de solidarité avec le peuple tunisien. Celui-ci, au travers des manifestations durement réprimées, a réussi à amorcer, en deux mois, une révolution spontanée, « démocratique » selon ces même partis. La gauche radicale et les écologistes avaient participé, le 13 janvier à la Bourse du travail, à un meeting de solidarité , invités par des syndicats et des associations tunisiennes. Eva Joly (Europe écologie – Les Verts) a estimé qu’il fallait « aider à instaurer un régime démocratique ». Elle a par ailleurs déclaré à l’AFP que « l’attitude de la France et de l’UE sont incompréhensibles ».
Le PG n’hésite pas à parler de « révolution citoyenne tunisienne », dans un communiqué du 14 janvier. « Sous des formes évidemment propres à un pays qui subit une dictature, le « qu’ils s’en aillent tous … » se rapproche », faisant référence au livre de Jean-Luc Mélenchon sorti à l’automne dernier. Le même jour, le Nouveau parti anticapitaliste a annoncé sa venue à la manifestation de solidarité de samedi. Son communiqué dénonce « la collusion entre le gouvernement français et le dictateur déchu », avant de renouveler son soutien à la « révolution démocratique » en Tunisie.
Mercredi 12 janvier, Hamma Hamami, le chef du Parti communiste des ouvriers de Tunisie, interdit, avait été arrêté à son domicile avant que sa libération ne soit annoncée le vendredi suivant. Par la voix de son secrétaire national, Pierre Laurent, le PCF avait fait savoir qu’il exigeait « sa libération immédiate. Hamma Hamami a été arrêté pour ses opinions et ses déclarations. Le Président Ben Ali et son clan montrent, une fois encore, leur volonté de briser toute résistance et toute opposition politique démocratique. »
L’opposition de gauche en Tunisie comporte le Parti démocrate progressiste, ancien Rassemblement socialiste progressiste, et le Forum démocratique pour le travail et les libertés, un parti social-démocrate, membre de l’Internationale socialiste tout comme le RCD. Le PDP de Néjib Chebbi rassemble aussi bien des libéraux que d’anciens marxistes, et est un « parti ami » du Parti de gauche français. Il avait boycotté les élections de 2004 et 2009, mais est autorisé depuis 1988. Ces partis sont membres de la Coalition du 18-octobre pour les libertés, qui rassemble aussi l’Ennadha et le PCOT, aux cotés d’associations et de partis plus minoritaires. Alors que le Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti de Ben Ali, est inclus dans le futur gouvernement de transition, le Parti communiste en est exclu, tout comme les islamistes de l’Ennadha.
Ecartée du pouvoir, coupée d’implantation, parfois clandestine : l’opposition en Tunisie apparaît dépassée par les évènements. Moncef Marzouki, du Conseil pour la République (un petit parti), se déclare candidat à la présidentielle sur France Info, le lundi 17 janvier. Il reconnaît que « si le dictateur a été chassé, la dictature est toujours là ». On ne peut donc pas dire que la rue prend le pouvoir en Tunisie, tout au mieux elle contribue à détruire l’ancien. La « révolution de jasmin », désormais aux mains d’un pouvoir intérimaire instable mais garanti par l’armée, n’est semble-t-il pas encore cette fameuse « révolution démocratique » que leur souhaite la gauche française. Il faudrait attendre soixante jours, ou six mois, pour que de nouvelles élections aient lieu. Il existe un choix entre un délai trop court pour installer le débat ou trop long, pour éviter le chaos alors que des comités de défense s’improvisent dans les quartiers, à l’appel de l’UGTT (le principal syndicat tunisien).
Quoiqu’il en soit, le processus de transformation démocratique n’est qu’à peine commencé : il a simplement été permis par le départ de Ben Ali. Mais la vigueur des manifestations et la rapidité du basculement politique ont surpris l’ensemble des observateurs étrangers qui, il y a trois mois encore, n’envisageaient rien de tel à Tunis. A Sanaa, au Yémen, un millier d’étudiants manifestaient au cri de « Tunis la liberté, Sanaa te salue ». Dans le monde arabe, l’exemple que fournit la Tunisie peut contribuer à crisper les tensions entre oppositions et régime autoritaire. L’internationalisation du fait tunisien n’est pas impossible : la crise économique et sociale, qui a fait le lit des révoltes en Tunisie, révèle aisément la corruption et la confiscation du pouvoir par les élites. Une lecture politique amplement partagée, à gauche, dont les manifestations ne chassent plus les présidents…