Monsieur le président Sarkozy ne manque pas d'énergie. Cette semaine, il va faire un sprint du Forum économique mondial, à Davos, au sommet de l'Union africaine, à Addis Abbeba, sans se fouler, ou, on l'imagine, ressentir un coup de chaud. Il doit avoir un carburant étrange qui le fait avancer... Serait-il, à lui seul, une puissance nucléaire. Est-ce une fission qui se produit à l'intérieur de son réacteur ? L'agence internationale de l'énergie atomique devrait-elle envoyer une délégation au palais de l'Elysée ? Quelle qu'en soit la source, une bonnne partie de l'énergie de Nicolas Sarlozy – comme nous allons, à nouveau, le voir cette semaine - a été consacrée aux pays en voie de développement et particulièrement à l'Afrique sub-saharienne. Il a dit beaucoup de choses sur le sujet depuis son élection en 2007. Je me souviens l'avoir rencontré au sommet du G8 à l'époque – ses pieds tapotant, ses genoux bondissant - lorsque nous évoquions, avec le chanteur Youssou N'Dour, des méthodes plus efficaces pour combattre l'extrême pauvreté.
A sa décharge, Nicolas Sarkozy a affiché la volonté de rencontrer les militants de la cause et il avait la tête pleine d'idées nouvelles à partager. Il voulait passer en revue ce qui avait marché dans le développement et jeter le reste par-dessus bord, dépasser l'ancienne relation entre la France et l'Afrique - passer d'un mode vertical à une relation horizontale et construire des partenariats non pas entachés de mauvaise conscience passéiste, mais motivés par l'optimisme envers le futur.
Mais jusqu'ici, ce discours réformateur n'a pas abouti à de réelles réformes.
Ces mots ne vont pas le surprendre ou l'offenser. Il est le premier homme politique – certainement le premier chef d'Etat – à m'avoir donné la permission expresse de, je reprends ses termes, le "torturer". Au cours d'une rencontre privée, il m'a encouragé à faire sonner la corne pour la cause. "Je sais que vous devez me torturer", m'a-t-il dit. "Je sais que vous devez tirer le signal d'alarme". Je ne suis pas du genre à me défiler, surtout que ceux qui sont bien mieux placés que moi – les Africains eux-mêmes - réclament un projet précis que la France devrait soutenir et faire avancer.
Donc, me voilà. Avec leur permission, je partage ces réflexions. Je le fais parce que je crois en la capacité d'action de ce président.
Après tout, c'est lui qui tient les rênes du G8 et du G20. Il déborde toujours d'énergie. Il a quelques armes, pas si secrètes, à déployer. Comme Christine Lagarde. Comme Carla Bruni. La femme du président est le moteur de l'engagement de la France en faveur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Nicolas Sarkozy prend fait et cause pour les idées intelligentes, comme les financements innovants et une meilleure gouvernance globale. Et il fait de très bons discours.
Mais le problème n'est pas de faire des discours, mais bien de décider. Ce n'est pas moi qui l'ai dit. C'est le président lui-même, au sommet de l'ONU sur les Objectifs du millénaire pour le développement en septembre 2010. Et il a bien raison. Il est grand temps, pour l'homme pressé qui dirige la France et pour le monde, de décider. Ce moment est venu pour Nicolas Sarkozy. Si vous écoutez les dirigeants africains, les entrepreneurs et les militants, il y a au moins trois grands domaines dans lesquels la France doit prendre les rênes dès à présent.
Le premier est la bonne gouvernance. L'Afrique est riche en ressources naturelles, mais ce sont rarement les Africains (mis à part quelques dirigeants corrompus) qui en profitent. En attendant, le manque de liquidités risque de déclencher des conflits à travers le continent. La transparence pourrait changer cela. Elle pourrait permettre de rediriger des revenus vers des projets économiques et de les investir dans l'emploi, la santé et l'éducation. Les Etats-Unis - poussés par des groupes militants comme ONE et des visionnaires comme George Soros - ont récemment voté une législation historique imposant aux industries extractives de "publier ce qu'elles paient" ("publish what you pay") aux représentants officiels des pays où elles sont installées. C'est un changement législatif énorme. C'est même plus grand que l'annulation de la dette en termes de fonds libérés pour la lutte contre la pauvreté en Afrique. Cela ne coûte pas un seul dollar aux Etats-Unis et il ne coûterait pas un seul euro à la France ou à l'Europe d'établir une législation similaire et de la rendre contraignante.
En deuxième position, les vaccins. Cette année pourrait être importante pour la médecine. Deux nouveaux vaccins, tout juste prêts à être distribués, sont le meilleur espoir que nous ayons jamais eu pour arrêter deux tueurs en série : les pneumocoques qui tuent environ 800 000 enfants par an et le rotavirus qui en emporte un demi-million de plus.
Je dois faire du bruit autour de cela, Monsieur le président, et ça ne sonnera pas comme une ola ou autres acclamations. Lorsque le niveau de l'aide publique au développement et que les promesses patinent, en France et ailleurs, les cliniques africaines manquent de médicaments, la peine de mort est réinstaurée et la promesse de nouvelles immunisations risque d'être perdue. Bill Gates estime que vous devriez allier la générosité française envers le Fonds mondial à un engagement renouvelé envers l'Alliance Mondiale des Vaccins et de l'immunisation (GAVI). Je pense que Bill Gates est un homme qui pense juste et voit loin.
Enfin, l'agriculture. Les dirigeants mondiaux ont raison d'être inquiets face à la volatilité des prix des denrées alimentaires dans les pays en développement et de la spéculation sur les matières premières. Des réformes peuvent aider. Comme le président l'a justement souligné, et l'a affirmé à L'Aquila en 2008, l'investissement dans l'agriculture est la solution. L'Afrique n'a pas uniquement besoin de payer un prix juste pour les aliments venus d'ailleurs. Elle a besoin d'en produire plus elle-même. La région a le potentiel pour nourrir non seulement sa propre population, mais aussi des millions de personnes à travers le monde si nous construisons les partenariats adéquats pour et avec les agriculteurs africains. Intervenir sur ces trois fronts (corruption, santé et faim) permettrait au président Nicolas Sarkozy de toucher du doigt la possibilité de transformer la réalité.
Le président est un homme en mouvement, bondissant, tournant tout le temps en rond comme un boxeur. Cette agitation est fascinante à regarder, mais, au bout du compte, elle ne change pas la donne (et laisse l'adversaire, c'est-à-dire la face hideuse de l'extrême pauvreté, toujours debout). Eh bien, c'est un gâchis. Un gâchis des capacités de cet homme politique talentueux et de sa capacité à transformer les vies de gens dont dépendent ses décisions.
Ce qu'il faut maintenant, ce n'est pas de l'énergie débordante et cinétique, mais un mouvement, stable, déterminé et dirigé vers un seul objectif : l'élaboration d'un partenariat du XXIe siècle avec le monde en développement qui laissera le paternalisme du XXe siècle aux livres d'histoire.
J'ai entendu les Africains réclamer le soutien de la France en faveur de ce mouvement. C'est aussi ce dont l'Europe et le monde ont besoin. Et je pourrais même ajouter, avec un brin d'audace, que c'est ce dont la France a besoin pour elle-mêm. La pauvreté, la faim et les maladies en Afrique, ce sont des fardeaux partagés, des risques partagés pour notre sécurité et nos économies, des atteintes communes à notre moralité. Sur ces questions, nous savons ce qu'il y a dans la tête de Sarkozy. Nous savons où se trouve son cœur. Ce sont ses pieds que nous surveillerons.