Et tout à coup, plus rien. Net, que ça s’est arrêté. Tous à l’unisson, comme un seul homme : BVA, IFOP, IPSOS, CSA, Harris Interactive et tutti. Pour faire dans le précis, le dernier institut de sondage à nous avoir proposé des « intentions de vote de second tour » pour « la 2012 » c’est TNS-Sofres. Même que c’était le télé [doc pdf.]">télé [doc pdf.]">télé [doc pdf.]">23 février dernier [1]. Mais depuis cette date, nib.
En fait, depuis que la Le Pen est donnée présente au second tour. Ils n’y vont plus, les instituts.
Pour faire court, la demande était du genre :« Comment se fait-il que jusqu’à présent vous faisiez des projections pour le premier ET le second tour de la présidentielle 2002, et plus maintenant, que vous vous arrêtiez au premier ? », en n’omettant pas de rappeler des enquêtes antérieures avec dates et noms des commanditaires.
Et là, on vous répond. Très gentiment.
Que c’est pas « une obligation » (BVA) que « ça dépend de la commande du client » (Harris Interactive).
Ah !... Mais comment se fait-il que d’un coup, comme ça, on en fasse plus des projections pour le second tour, que ce ne soit plus « une obligation » parce que, Madame, Monsieur, jusqu’ici, je m’excuse, mais c’était systématique ! J’ai les preuves ! Tenez, l’enquête publiée le 15 septembre 2010, aussi celle du 12 novembre 2010, encore celle du 18 janvier dernier, j’en ai des tas ! mais depuis le 23 février, plus rien, vous avez tous arrêté, en même temps ! Or depuis cette date, Madame, Monsieur, il se trouve que Marine Le Pen, dans vos enquêtes, est « qualifiée » pour le second tour. Serait-ce pour cette raison que vous ne produisiez plus de projections pour ce même second tour ?
Là, généralement, on vous demande si vous travaillez pour quelqu’un. Et vous répondez que non. Que c’est juste pour savoir. Que vous êtes un citoyen. Rien de plus. Pas Pierre Arditi ou je-ne-sais-quoi [3].
Bizarrement, vous sentez votre interlocuteur comme soulagé. Vous en profitez (toujours courtois, poli…) pour rappeler votre question, soit : Marine Le Pen, c’est-y ça la raison ?
Non, du tout, qu’on vous répond, ça n’a absolument rien à voir, allons qu’allez-vous chercher là, encore une fois c’est pas « une nécessité » de faire des projections pour le second tour, pas « un automatisme », « ça dépend de la commande du client » qu’on vous répète.
J’entends bien, mais « le client » il ne peut pas savoir à l’avance quels seront les résultats de votre enquête, alors comment se fait-il que d’un coup, comme ça, il vous commande plus que du premier tour ?
C’est là où le sondeur, il rame copieux. Oh, il ne perd jamais pied, le discours reste très structuré, formaté, mais ça convainc pas bézef. Voire pas du tout.
En dernier ressort, pressé d’en finir, le sondeur vous dira que nous sommes trop loin de l’échéance pour faire des projections de second tour... Voyez, ça marche pas. Puisque de ce type de projections, il en a fait à 15, 18 voire même à 26 mois de ladite « échéance ».
D’autre part, le premier tour est quasi aussi loin dans le temps de l’ « échéance » que le second…
Mais tout de même, l’un d'eux finit par lâcher une information : « Nous allons bientôt faire des projections de second tour avec la candidate du Front National » (Harris Interactive).
Mais le meilleur, je dois dire, c’est l’IPSOS de Brice Teinturier.
A la décharge de cet institut, il n’a – à ma connaissance – fait aucune projection de second(s) tour(s) jusqu’à présent pour cette future présidentielle... Pour celle de 2007, si. Dès février 2006, IPSOS nous bombardait de duels Sarkozy/Royal. Mais là, non. Il ne se mêle pas à la meute.
Ceci étant, les explications fournies sont fort intéressantes.
D’abord, m’a-t-on dit, si IPSOS ne fait pas de projections pour le second tour c’est parce que « ça a un coût financier ». Et là, avouez, qu’on s’en réjouit. Car le dernier commanditaire d’IPSOS pour cette « 2012 » c’est France Télévisions. Ravi d’apprendre que le service public ne dilapide pas nos deniers dans des enquêtes dont on sait qu’elles ne sont pas vérité, mais « tendances ».
Ensuite, m’a-t-on expliqué, c’est parce qu’on « ne connaît pas le candidat socialiste ». Ce qui est exact. Mais on ne connaît pas plus le candidat écologiste, si je ne m’abuse (Hulot ou Joly ?). Et puis qui nous dit que Morin y sera ? Et Dominique de Villepin, vous êtes certain qu’il va y aller ? Et Montebourg, il sent le pâté (jamais testé par aucun institut, et pourtant candidat aux primaires) ? Et pourquoi y’a pas Borloo dans votre sondage ? C’est que dites, hormis Arthaud, Le Pen, Dupont-Aignan, probablement Sarkozy, Besancenot, Bayrou, des candidats, on en connaît que six maxi. Non ?
Enfin, tombe le dernier argument : « Nous sommes trop loin de l’élection »... Refrain connu. Trop loin pour le second tour mais pas pour le premier. Sans oublier, mais je l’ai dit, que pour la présidentielle précédente, IPSOS ça l’avait pas trop chagriné de nous faire des projections de second tour à 15 mois. Faut dire, aussi, que les « choses » étaient plus claires : c’était Royal/Sarkozy et puis c’est tout. N’en déplaise au Bayrou (qui n’a pas manqué, souvenez-vous, de le dénoncer).
Or donc, là itou, ça n’a rien à voir, croyez-le bien, avec une éventuelle présence de Marine Le Pen au second tour, absolument pas, que nenni ! Qu’allez-vous imaginer ! M’enfin !
Je ne sais pas vous, mais toutes ces belles explications ne m’ont guère convaincu. Je suis pas du genre à voir des complots partout, pas plus que je ne suis paranoïaque, mais quand même. Y’a anguille sous roche. Et l’anguille, en l’occurrence, c’est la candidate de l’extrême-droite. Ça embarrasse, et le sondeur, et le commanditaire. C’est clair... Je serais même prêt à parier, qu’elles existent ces projections. Pourquoi ne pas nous les communiquer ?...
... Peut-être, me disais-je, parce que dans la plupart des cas de figure, Marine Le Pen se fait laminer (pas autant que son père en 2002, mais bien quand même).
De fait, si nous le savions, ça détendrait singulièrement le climat. Mais... ce serait pas vraiment dans l’intérêt des médias (qui sont, rappelons-le, les commanditaires)... C’est que, ça fait vendre, Le Pen ! D’ailleurs regardez, elle est partout, invitée ici, là, comme jamais son père ne l’a été... Mais si elle vaut plus rien, si la baudruche, la supposée vague se dégonfle, avec quoi qu’on va meubler nos infos, nos journaux, nos débats ?... Vous comprenez... Y’a donc tout intérêt à maintenir la pression. L’incertitude. Le mystère.
Or donc, tout intérêt à ne pas nous donner les projections de second tour.
Voilà ce que je crois. Voilà pourquoi plus aucun sondeur ne nous donne des « intentions de vote » pour le second tour. Parce que, tuer une élection à 13 mois de l’échéance, c’est mauvais pour le commerce. J’entends par « commerce » : les médias.