Je vois un vague « bleu marine »… (ne cherchez pas la faute, y en a pas)

Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Ouuuuuuuuuuuuf ! Quel soulagement n’ai-je pas ressenti lorsque le résultat des élections cantonales a été annoncé !

Avec 11,57 % pour le Front National, avouez qu’on est loin de la vague « bleu marine » annoncée : ce parti abominable avait fait à peu près le même score aux dernières présidentielles, élections à l’issue desquelles tout le monde s’accordait à dire que Sarkozy avait réussi à le siphonner et à le ruiner. Tu parles d’une montée irrésistible ! En plus, il s’était maintenu au second tour dans 394 cantons : deux seulement d’entre eux, dans le Var et dans le Vaucluse, sont finalement tombés dans son escarcelle ! Néant total dans le Nord-Pas-de-Calais, en Languedoc-Roussillon, en Alsace et en Lorraine où il était, d’après les dires de tous, bien implanté. Qui oserait qualifier de triomphant n’importe quel autre parti enregistrant une telle contre-performance ? En plus, si on recalcule le score national du FN en tenant compte du nombre d’abstentions et de votes blancs et nuls, on arrive à 4,36 % (Je parle sous le contrôle de l’ami Siné qui s’est fait chier à faire le calcul) ! Ce n’est même pas la moitié de son score des présidentielles de 1988 avec une meilleure participation ! Plus fort encore : en nombre réel de votes, il est en recul ! Il a perdu 100 000 voix depuis les dernières cantonales ! Elle est où, la « vague bleu marine », le soi-disant pouvoir de séduction de la walkyrie du FN ? On nous balance des sondages en-veux-tu-en-voilà annonçant la qualification de Le Pen pour le second tour,  mais ces sondages n’ont pas pu être faits avec un panel dépassant les mille personnes interrogées ; et il faudrait les prendre plus au sérieux que des élections au cours desquelles environ vingt millions de personnes (c’est-à-dire, grosso modo, la moitié des électeurs potentiels en France) étaient appelées aux urnes ? Au nom de quoi un échantillon de mille personnes, sélectionnées le plus souvent suivant des critères obscurs, serait-il plus représentatif que la moitié des Français inscrits sur les listes électorales ? À ce compte-là, il faudrait dire aussi que mon nombril, mon orteil gauche ou mon trou du cul est plus représentatif de ma personne que ne l’est la partie de mon corps allant du cuir chevelu à la ceinture ! Les instituts de sondage disent qu’un électeur sur cinq est attiré par Le Pen ? Les élections leur répondent qu’il n’y en a que quatre ou cinq sur cent, soit un sur vingt, donc quatre fois moins, dans le pire des cas !

Tout cela pour dire : ‘faut arrêter, maintenant, quoi ! Si ça lui fait plaisir, à la grosse connasse du FN, de claironner qu’elle est victorieuse, qu’elle le fasse, son cas est de toute façon désespéré ! Mais vous, les journaleux de tout poil, quelle excuse avez-vous pour lui donner raison à tout point de vue sans prendre la peine de regarder les faits ? C’est pas dur, on n’entend qu’elle partout, on ne voit qu’elle partout, et à chaque fois c’est pour dire « oh,là,là, comme elle s’installe, oh,là,là, comme elle est forte, oh,là,là, comme elle a gagné, oh,là,là,là, comme elle a rendu le FN respectable… » De deux choses l’unes : ou bien vous faites ça pour faire peur aux gens et les pousser à voter, aux prochaines présidentielles, pour des candidats dont ils ne voudront pas et qu’ils ne choisiront que pour faire barrage à Le Pen, ce qui est grave, ou bien vous travaillez vraiment à faire le nid du FN comme vous avez fait le nid de Sarkozy en 2007, tant il est vrai que l’extrême-droite au pouvoir n’est pas de nature à effrayer les grands patrons qui financent vos journaux pourris, ce qui est encore pire. « Bonjour, nous vous informons que vous êtes de plus en plus attirés par les idées d’un parti politique ouvertement antisocial et antirépublicain ! Demain, nous vous expliquerons pourquoi ! » craquent en chœur les perroquets de la presse corrompue… Connards irresponsables et marionnettes du grand capital ! Le pire, c’est que cette campagne de désinformation terrorisante est efficace : la preuve, tous les dessins anti-FN que j’ai faits (dont certains illustrent le présent article) pour expurger ma panique…   

En fait, la seule chose vraiment inquiétante dans tout ce schmilblick électoral, c’est le taux d’abstention – Samuel va m’engueuler, mais tant pis. En effet, je l’ai déjà dit, comme l’a résumé l’excellent Maëster, « si tu ne votes pas d’autre le FRONT » : il n’y a en fait, très probablement, qu’une maigre proportion de vrais électeurs frontistes en France (il y en aura toujours trop de toute façon), mais les autres électeurs, en s’abstenant, laissent à l’extrême-droite la possibilité d’entretenir une illusion de majorité d’autant plus dangereuse qu’elle peut tout de même lui ouvrir la voie du succès. Un exemple : mettons une circonscription où il y a cent électeurs potentiels. Il n’y en a que dix qui vont voter, et sur ces dix, six votent pour le candidat de l’extrême-droite. Résultat : l’extrême-droite n’a séduit que six électeurs sur cent, elle ne représente donc pas le dixième du corps électoral, mais elle n’en recueille pas moins la majorité absolue au niveau des suffrages exprimés, ce qui la laisse libre de prendre le pouvoir et de faire ce qu’elle veut, comme retirer toute aide aux étrangers, même en situation irrégulière, et aux organisations de gauche et appliquer une politique culturelle digne de Vichy… Comme le disaient les guignols dans les années 1990, attention : ne pas voter peut provoquer un président grave !

Cette abstention me semble d’autant plus préoccupante qu’elle signale, de mon avis évidemment, que nos concitoyens ne soient plus motivés pour lutter contre l’extrême-droite et ses idées. En effet, souvenez-vous : en 2002, quand il y avait eu la mauvaise surprise du second tour, on avait vu une forte mobilisation citoyenne pour faire barrage à Le Pen : manifestations anti-FN, sursaut républicain dans les urnes, le tout avec le concours d’artistes, d’élus, de syndicats… Et là, cette année, malgré le maintien du FN dans 394 cantons, rien ! Je frémis : si on a vraiment un second tour DSK-Le Pen, mes compatriotes seront-ils toujours disposés à se mobiliser contre l’extrême-droite ? Le second tour des cantonales semble indiquer que oui…pour l’instant ! Espérons que le travail de sape des journaleux n’aura pas pour effet de faire pousser cette mauvaise herbe ! En plus, quand je parle avec des gens de ma connaissance et que nous envisageons, à titre d’hypothèse, l’arrivée du FN au pouvoir à l’issue des présidentielles de 2007, lesdites connaissances me disent que l’extrême-droite ne pourra pas changer la constitution en un tour de main, qu’elle devra s’appuyer sur le parlement, qu’elle ne gagnera probablement pas les législatives… En clair, le caractère antirépublicain de l’extrême-droite n’est plus évident pour beaucoup de gens qui sont pourtant éclairés ! Comme si on ne voulait plus admettre que le premier geste de Marine Le Pen, si elle était élue, serait de profiter de l’article 16, cet article scélérat de la constitution (il serait grand temps de le supprimer, d’ailleurs !), pour s’octroyer les pleins pouvoirs et faire ce qu’elle veut de la France sans devoir tenir compte ni du parlement ni du conseil constitutionnel !

Je ne vous dis pas tout ça pour vous paniquer ; au contraire, n’ayez pas peur ! Le second tour des cantonales montre que la « vague bleu marine » n’est pas pour aujourd’hui ; je veux seulement vous faire comprendre qu’il n’en faut pas moins rester vigilent afin que cette « vague bleu marine » ne soit pas non plus pour demain. Mais une condition première, pour être vigilent, est de rester serein. Le FN, pour le moment, n’est ni plus dangereux ni moins dangereux qu’il n’en a l’air. Restons calmes, ne cédons pas à la panique, nous ne sommes pas encore à la veille d’un remake de l’Allemagne de 1933 ; gardons seulement les yeux suffisamment ouverts pour que la bête immonde ne se déchaîne pas. Allez, kenavo !