55 % d'abstention aux cantonales. Le chiffre est énorme et devrait amener toute la classe politique à réfléchir, faute de quoi, la désillusion pourrait être encore plus forte en 2012. Pour essayer d'en comprendre les raisons, prenons le cas de la famille Martin, famille de Français moyens qui habitent une petite ville ouvrière du nord de la France.
Mr Martin est ouvrier dans une grande entreprise du coin. Pendant longtemps il a été fier de son travail, mais depuis quelques temps le coeur n'y est plus. Une partie de la production a été délocalisée en Chine et plusieurs plans sociaux ont vu partir une grande partie des salariés. Mme Martin travaille comme caissière dans un centre commercial. Elle avait demandé un temps partiel pour s'occuper de ses enfants, mais maintenant qu'ils sont grands, elle n'a pas pu revenir à plein temps. Elle a été obligée d'accepter de travailler le dimanche en compensation. Ils habitent un petit pavillon en périphérie de la ville. Ils ont donc besoin de deux voitures pour travailler. Entre les remboursements du prêt, les impôts, l'électricité, le gaz, qui augmentent sans cesse, de même que tous les produits de première nécessité, ils ont de plus en plus de mal à boucler les fins de mois, d'autant plus que leurs salaires n'ont pas bougé depuis des années. Le fils aîné a fait de brillantes études, titulaire d'un bac + 5 il ne trouve cependant pas de travail et doit se contenter de multiples missions d'intérims. Avec sa petite amie, ils aimeraient bien se mettre en ménage, malheureusement ils n'ont pas les moyens de payer un loyer dans le privé, et il faut attendre des années pour obtenir un logement HLM. Leur fille poursuit elle aussi des études, mais est obligée de travailler le soir pour pouvoir aider ses parents à les financer. Quant au benjamin de la famille, il est encore au collège, mais dans une école privée. Lassés des absences continuelles de professeurs, ou de jeunes débutants mal formés et complètement dépassés, les Martin ont décider de faire des sacrifices pour que le plus jeune puisse lui aussi avoir sa chance.
Dans un tel contexte, on imagine bien que les loisirs ne sont pas légion, quant aux vacances... Si on ajoute à cela, que le chômage a explosé dans le quartier où ils habitent, de même que ses corollaires que sont la violence et les dégradations, ont voit parfaitement où sont les inquiétudes de la famille Martin, et quelles sont leurs attentes envers la classe politique. Pourtant, malgré leur situation, les Martin ne désespèrent pas. Ils ont décidé de s'intéresser de très prés aux discours des différents partis politiques en vue de la prochaine présidentielle.
Parce qu'ils sont au pouvoir, c'est donc en toute légitimité qu'ils ont commencé par écouter les leaders de la droite. Et à droite, en ce moment, on leur parle quasi exclusivement d'insécurité, de laïcité, d'Islam, et quand parfois un politique un peu plus courageux que les autres ose s'aventurer sur le terrain économique et social, c'est pour déplorer la grave crise économique que nous connaissons. Sous-entendu, on ne peut rien faire de plus que ce que nous faisons déjà. La laïcité, les Martin sont pour évidemment, même si pour eux, le concept n'est pas très clair. Vivre en sécurité, ils acquiescent aussi, quant à l'Islam, il y a bien quelques musulmans dans le quartier, mais il n'y a jamais eu de problèmes avec eux. Ceci dit, avec tout ce que l'on entend à la télé, ils se disent qu'il doit bien y avoir un problème. Pour autant, tout ceci ne les satisfait guère. Rien qui les rassure sur leur situation professionnelle, sur leur pouvoir d'achat ou encore sur les problèmes de logement du fils aîné. Et puis, depuis le temps qu'ils sont au pouvoir...
En toute logique, il décident donc d'écouter les leaders de l'opposition socialiste. Là, ils se rendent vite compte qu'il y a un problème avec la droite, et que la politique menée par celle-ci n'est pas bonne pour les petites gens comme eux. Ceux qui le disent ont l'air tellement convaincus, que les Martin veulent en savoir plus : que proposent-ils alors ? Ben, c'est là le problème. Le programme, ils sont en train d'y réfléchir, mais qu'on se rassure, ça avance. Par contre, ils ont déjà des candidats pour la présidentielle, qui défendront évidemment le programme, sauf si celui-ci ne leur plaît pas. Bref, tout cela paraît bien fumeux aux Martin, ils décident donc de continuer leurs recherches en attendant que les socialistes se soient mis au clair sur leurs intentions.
Il y a le Front National. Depuis que c'est la fille qui a repris le parti, on la voit partout sur toutes les antennes. Il faut dire qu'elle passe bien à la télé et qu'elle au moins, elle tient un discours simple et intelligible. Et puis surtout, elle a identifié le problème : ce sont les immigrés qui sont la cause de tout ! S'il y en avait moins, il y aurait moins de chomage pour les Français, il y aurait aussi plus d'aides sociales pour les Français, parce que c'est bien connu, les étrangers, ils ne viennent en France que pour bénéficier des aides sociales. Les Martin réfléchissent, et ils se disent que des immigrés au chômage ils en connaissent, mais comme ils sont nés ici, ils sont Français. Et puis, des Marocains, des Algériens, Mr Martin, il en a comme collègues, et ils ne sont pas là pour profiter. Ils bossent comme les autres. Et puis, ce n'est pas tout, ce ne sont pas les immigrés qui délocalisent, ni eux qui sont à l'origine de l'augmentation des prix. Les Martin ne tardent pas à comprendre qu'il y a une faille dans le raisonnement. Ils passent leur chemin.
Au premier abord, ils trouvent les écologistes bien sympathiques. Ils sont jeunes, habillés comme nous. Bref, voilà des gens qui nous ressemblent. Et puis, c'est vrai, ils ont raison, si on ne fait pas attention à la planète, à ce que l'on mange, à ce que l'on consomme, on est tous condamnés. Alors, ils regardent dans le détail. Le développement durable ? A première vue, ils sont pour, sauf qu'ils ne savent pas très bien ce que c'est. Sortir du nucléaire ? Là encore, ils sont pour, surtout avec ce qui se passe au Japon, cela leur fait peur. Sauf que, ils savent bien qu'avec le nucléaire, ils paient leur électricité moins cher, si on en sort, on le remplace par quoi ? et qui paie ? La taxe carbone ? Là, ils sont contre. Non pas qu'ils aiment polluer, mais ils n'ont pas le choix, la voiture, ils en ont besoin pour travailler, et ils ne peuvent pas payer plus ! Au final, les écologistes, c'est peut-être bien, mais ils comprennent vite que cette politique là ne prend pas en compte leurs préoccupations quotidiennes.
Ils commencent à être complètement désespérées. Il reste bien les communistes. Les communistes, ils ont toujours été du côté des ouvriers, non ? Ben oui, mais c'est quoi leur programme aux communistes ? Ils disent que les socialistes ont trahi, mais dès qu'ils le peuvent ils s'allient avec eux. Ils ont été de tous les gouvernements de gauche, mais qu'ont-ils fait ? Ont-ils pesé ? Il y a bien Mélenchon, lui il a un discours intéressant, il ne fait pas dans la langue de bois. Sauf que Mélenchon, pour l'instant, son obsession, c'est les médias, quand il en aura fini avec eux, il reviendra peut-être dire aux gens comme les Martin comment ont fait pour les aider à boucler leurs fins de mois. Bref, pourquoi pas, mais pas pour l'instant. Il reste encore les centristes. En 2007, Ils avaient été tenté par Bayrou. Mais là, il n'y a plus de trace de lui, c'est à peine si on sait encore qui c'est.
Finalement, entre une UMP qui a renoncé, des socialistes qui se cherchent, un Front National qui divise, des écologistes trop coupés des classes populaires, des communistes qui n'ont pas de programme et des centristes qui n'existent plus, les Martin sont plus que perdus. En 2012, ils pourraient bien s'abstenir.
Sur le sujet :
Pour jacques-le-bris il y a un homme qui a tout compris des secrets de l'abstention : c'est le médiateur de la République.
Sur d'autres sujets :
sur Interférences, un excellent texte sur ce qu'est réellement le Front National.
Jef s'interroge sur les miracles et les placebo.
dasola nous conseille "easy money" le film de Daniel Espinosa.