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C’est une affaire de sculpteur que de considérer les volumes par les vides qu’ils creusent et façonnent. Parce qu’au fond chaque sculpteur s’emploie à sculpter l’espace, à moduler le vide, à l’étendre dans un déploiement baroque ou à le ramasser dans le cocon de l’intime par les volumes qu’il forme. Chaque sculpture s’appuie sur le vide avec lequel elle compose, s’affirme ou qu’elle révèle. Aussi, les danseurs sculptent. Dans la conjonction du déploiement et du resserrement sur l’intime se façonnent les rêves avec leurs épopées, leurs tunnels, leurs plis. Les premiers travaux de Hans Schabus que j’ai pu découvrir dans la galerie Anne de Villepoix s’apparentaient à une matérialisation des volumes d’un bâtiment par le négatif de ses circulations. Un peu comme Rachel Whiterhead réalisant l’empreinte d’une pièce ou d’un escalier ou Marcel Duchamp proposant une « feuille de vigne femelle » ou un « objet dard », l’artiste matérialisait le vide, le creux, par sa contre-forme lui donnant alors une présence sculpturale. Du bâtiment ne devaient rester alors qu’une sorte de déploiement dans l’espace qui, de loin, pouvait évoquer encore cette suggestion de Bellmer de couler du plomb dans les creux causés sur une planche par le passage de vers afin de révéler, une fois le bois dissout, « le panorama immobile de son mouvement », sa multiplication. J’avais revu ensuite son travail lors de la biennale de Venise en 2005 : il avait inclus le pavillon autrichien dans une sorte de montagne ou de tas d’où quelques angles émergeaient. Dedans c’était comme un énorme échafaudage, le déploiement orthogonal des structures de bois à travers lesquelles on pouvait circuler. Comme dans une cathédrale baroque, pénétrer au-dedans c’était ouvrir un monde semblant se déployer à l’infini en d’infinies variations. C’est comme de pénétrer dans ces énormes sculptures qui montrent alors leur ventre, l’envers du décor qui est aussi l’espace depuis lequel s’élabore la fiction, le repli obscur de la forme. C’est par Internet ou dans des catalogues que j’avais appris l’existence de son projet de tunnel ou de puis creusé depuis son appartement. Une sorte d’expédition utopique qu’il développera dans d’autres projets, embarquant sur un petit bateau pour parcourir les égouts de New York, par exemple. Souvent j’ai confondu ces explorations ordinaires avec le travail de Gregor Schneider, lui-même travaillant sur sa propre maison, les perceptions de l’espace. Parfois j’ai pensé à Tixador et Poincheval, leurs expéditions décalées, le mélange de poésie et d’ironie. On lui trouve un goût certain pour les explorations souterraines, dans les profondeurs et les réseaux obscurs, un peu comme on aimait enfant se faire des cabanes et s’y lover, comme au creux du monde. Alors je pense au travail des frères Chapuisat, à ce désir de terrier, de faire un lieu à sa mesure, de l’habiter comme un mollusque habite sa coquille, intimement. Très vite la simple appropriation de l’espace se double d’un désir de fiction chaque volume ressemblant à ces chambres de mémoire que se créaient les orateurs pour fixer leurs discours. Dans cette actuelle exposition à l’IAC de Villeurbanne, Hans Schabus encore une fois se saisis des volumes de manière toute objective, voir conceptuelle, par cette petite plaquette qui annonce le volume d’air du bâtiment (« 5972 kilo air IAC »), mais aussi de manière littérale, une longue chaine embrassant les salles dans une étreinte qui cisaille les angles, les cimaises, et poétique enfin, installant une narration. D’abord l’entrée de l’exposition est encombrée par la carcasse d’une caravane déployée qui fait comme une palissade et ouvre son ventre au spectateur. C’est comme de regarder sur le mur interne d’un immeuble en cours de démolition les traces de chaque palier, les tapisseries, les faïences mises au jour. L’intime du logement individuel s’ouvre littéralement sur l’espace du musée et l’agrège même, comme en témoigne une petite table pliante réinstallée au mur. Passé ce seuil on découvre qu’une cimaise à été ajoutée en devant d’un mur latéral de la salle, discrètement, laissant apparaitre un espace entre, la coulisse. Quelques éléments y sont visibles, une veste poussiéreuse, comme les traces d’une existence cachée, évoquant le travail de l’artiste ayant fait du lieu même de l’exposition son atelier. Et tout le long de l’exposition, à travers chaque salle traversée par le fil d’Ariane de la chaine tendue, se mêleront les espaces symboliques et affectifs, l’expérience concrète et le cheminement de l’imaginaire. Collection de timbre déployant le temps depuis l’enfance, ready-made issus de bâtiments tel une fenêtre ou une rampe, autoportrait fragmenté issu de coupures de presse, vidéo évoquant l’artiste comme un improbable aventurier, jusqu’à ces sculptures en résine, archéologies d’un parc d’attraction dédié aux grand animaux préhistoriques. En passant par la librairie on trouve encore un objet curieux, reliquat d’un moulage manqué dont on voit encore les évents, empli d’eau comme une flaque ou comme une empreinte sur un chemin. Je n’ai pu m’empêcher de penser à un masque mortuaire qui évoquerait une ultime fois le seuil et le passage, l’artiste lui-même peut-être, à travers son empreinte, le vide qu’il laisse dans la matière en s’en retirant, la mise en présence d’une absence.