Maître de la couture reconnue par ses pairs comme le génie tutélaire de la profession, Madame Grès (1903-1993) est une créatrice de mode curieusement mal-connue en France, alors qu'elle est citée parmi les cinq plus grands créateurs de Haute Couture à l'étranger...
Madame Grès a eu l'idée de demander aux fabricants une étoffe en jersey de soie, qui n'existait pas auparavant. Avec ce textile à la fois fin, lourd et souple, elle produisit des robes d'inspiration antique, asymétriques, comme moulées sur les corps, aux drapés ingénieux et osés.
Le pli est formé à même le mannequin, pendant la construction de la robe, puis cousu. La grande largeur du tissu (280cm) est ainsi réduite à 7 cm...ce qui peut aboutir à des circonférences de jupe de 21 mètres...
Madame Grès (son pseudonyme est l'anagramme du prénom de son mari, Serge) voulait être sculpteur.
Elle fut couturière.
Pour la première fois, une rétrospective lui est consacrée à Paris, où les robes sculpturales sont confrontées aux bronzes monumentaux du Maître sculpteur.
C'est la première programmation du Musée Galliéra hors ses murs, et c'est une réussite.
Pendant plusieurs décennies, Madame Grès (1903-1993), de son vrai nom Germaine Krebs, a été célébrée pour ses fameux drapés, ses modèles épurés masquant la complexité de son travail, et le jersey, sa matière de prédilection. Avec une constante, la sensualité affleurant sous la technique.
"Je ne crée jamais une robe à partir d'un croquis. Je drape sur un mannequin, puis j'étudie à fond son caractère et c'est alors que je prends mes ciseaux", expliquait-elle dans une de ses rares interviews.
Ses autres créations, robes, tailleurs et manteaux de jour utilisent également le tissu double face, dès sa création. Il en émane une rigueur, une simplicité, qui font penser à Givenchy, à Dior et à Saint-Laurent. Du grand art.
Une centaine de modèles allant des années 30 aux années 80 (ainsi mesure-t-on le style indémodable des modèles), ainsi qu'une cinquantaine de photographies et une centaine de croquis de la maison Grès : il est extraordinaire de voir les "fiches-modèles" mentionnant les prix comme 56 000 Francs en 1947. Ces dessins font partie d'un ensemble de 3.000 pièces, dont des esquisses griffonnées de la main de la couturière, déposés au musée Galliéra par la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent.
Une exposition superbe, à voir absolument par tous ceux et toutes celles qui considèrent la mode comme un art à part entière. Mesdames, vous pouvez emmener sans crainte votre mari : Claude a beaucup aimé le caractère construit, novateur et empreint d'un clacissisme extrème de ces créations intemporelles.
Alors moi, tandis que je me suis remise à coudre - un chemisier "coeur-croisé" en Liberty - je m'interroge : les riches clientes qui achetaient les robes de Madame Grès avaient-elles conscience de porter un oeuvre d'art, de respirer, de manger, de tacher une pièce unique ayant plus tard sa place au musée ?
Jusqu'au 24 juillet au Musée Bourdelle, 18 rue Antoine Bourdelle 75014 Paris, tous les jours sauf le lundi et les jours fériés.