LA CHANSON DE L’OUVRIÈRE
Les heurs crèvent comme une bombe ;
À l’espoir notre jour qui tombe
Se mêle avec le confiant.
Pique aiguille! assez piqué, piquant!
Les heurs crèvent comme une bombe.
Ici-bas tout geint, casse ou pleure ;
Rien de possible ne demeure
À ce qui demeurait avant.
Pique aiguille ! assez piqué, piquant !
Ici-bas tout geint, casse ou pleure.
Je suis lasse de cette vie,
Je veux dormir, ô bonne amie,
Laisse-moi reposer, assez !
Non, pique aiguille ! assez piquant, piqué !
Je suis lasse de cette vie.
Hâve par ma forte journée
Je blasphème ma destinée,
Feuille livide au mauvais vent;
Un peu de sang sur mes doigts coule,
L’heure râle, pleure et s’écoule.
Ah ! mon pain me rend suffocant.
N’importe, pique aiguille! piqué, piquant !
L’heure râle, pleure et s’écoule.
Pourquoi donc Dieu me rend-il malheureuse?
Je suis très pauvre et je vis presque en gueuse.
Hélas ! la peine est un fardeau pesant.
N’importe, pique aiguille ! piqué, piquant !
Pourquoi donc Dieu me rend-il malheureuse?
Tout dans l’abandon je le passe
Mon gagne-pain passe et repasse
Dans un seul même tournement.
N’importe, pique aiguille ! piqué, piquant !
Tout dans l’abandon je le passe.
(Emile Nelligan)