Hier soir, aux alentours de 21h45, une poignée de sénateurs prenaient place dans l’hémicycle du Palais du Luxembourg pour discuter du projet de loi sur le prix unique du livre numérique. Lors d’une première prise de parole, Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture et de la Communication, a fait la promotion du projet, qu’il considère comme favorable au ”lecteur” (à défaut que se surprendre à l’appeler consommateur…). C’est au nom de l’”intérêt-lecteur” que le législateur agit, nous répète-t-on. Ce fut aussi le moment de rassurer les quelques représentants présents : le prix unique ne provoquera pas d’effets inflationnistes, ne sera pas incompatible avec une large gamme de produits… Le ton est donné pour le projet de loi : plus de lourdeur que de véritable utilité pour un marché qui n’existe pas encore.
Alors au cours de la discussion, l’idée d’une ”loi de civilisation à l’heure du numérique” est revenue à plusieurs reprises pour faire face aux appétits grandissants des acteurs américains (le triptyque habituel, Apple, Amazon et Google). Elle permettrait de créer un écosystème durable qui favoriserait le développement de certains acteurs (1001libraires a été mentionné à plusieurs reprises durant le débat) notamment le libraire, médiateur culturel essentiel.
Mais est-ce bien pertinent de légiférer alors que le “marché” du livre numérique n’existe pas encore? Alors même que l’on ne connaît qu’un petit nombre de ses composantes, qui pourraient d’ailleurs tout à fait changer dans les 6 mois qui viennent? Face à ces questions, Frédéric Mitterrand rétorque que l’objet de cette loi est de cibler “le livre homothétique qui représentera l’essentiel du marché dans les 4 à 5 prochaines années”. Pour sortir du champ de la loi, il suffira donc d’insérer quelques vidéos dans l’ebook, ce qui sera peut-être la norme dans les années à venir…
Concernant le processus d’adoption du projet de loi, il s’est passé sans encombres. L’amendement déposé par David Assouline visant à permettre aux collectivités de disposer d’un cadre dérogatoire à la loi a été retiré par son auteur. L’adoption de l’article 5bis a été le moment le plus intéressant du débat , afin de faire entrer dans le cadre de la loi un dispositif permettant à l’auteur de disposer une rémunération “juste” en regard des économies générés pour l’éditeur grâce au numérique.
Article 5bis « Lorsqu’une œuvre étant publiée sous forme imprimée est commercialisée sous forme numérique, la rémunération de l’auteur au titre de l’exploitation numérique est fixée en tenant compte de l’économie générée, pour l’éditeur, par le recours à l’édition numérique. »
Cet article est sûrement le point le plus intéressant du texte et fort heureusement, le Sénat l’a adopté. Cependant, celui-ci pourra encore faire les frais de la commission mixte paritaire qui se réunira prochainement, notamment de la part des députés qu’il l’avait refusé lors de leur lecture du projet de loi. De son côté, l’article 7 est adopté sans encombre. Il a en été de même pour l’article 9, un beau cavalier législatif, finalement voté, après un avis défavorable du gouvernement sur l’amendement visant à le supprimer.
Au final, le processus d’adoption du projet suit son cours et pose une nouvelle fois la question de l’utilité de cette loi. Contraints par le contrat d’agence, les distributeurs ne peuvent pas effectuer les rabais que l’on a pu connaître dans les premières années du Kindle Store. Légiférer sur le prix unique est une manière de faire perdurer l’esprit de la loi Lang, pour rassurer tout un secteur qui, dans les faits, pourrait facilement se passer d’une telle mesure pour proposer en quantité du contenu de qualité à ses lecteurs.
Pour retrouver le compte-rendu des débats et la version finale du projet de loi adopté par le Sénat, rendez-vous sur le site de l’institution. Pour une rétrospective et analyse détaillée de la saga du prix unique du livre numérique, le site InaGlobal propose un dossier très complet à cette adresse.