Face aux vidéos d’Eija-Liisa Ahtila (au Jeu de Paume Concorde jusqu’au 30 Mars), le spectateur peut difficilement rester passif. C’est à la fois dû à leur dispositif et à leur narration. Si elles sont filmées dans les règles de l’art, leur projection se déploie sur plusieurs écrans, et on se rend rapidement compte de l’impossibilité de saisir tout ce que l’artiste veut nous montrer en une seule bouchée (une seule ‘oeillée’?). Les yeux vont sans cesse d’un écran à l’autre, le regard saute d’une image à une autre, la tête se tourne dans toutes les directions, vers les quatre murs, les trois écrans; la peur de manquer une image, une partie de l’histoire, nous prend au ventre. Le son pourrait fournir une unité, une unification entre les images, mais encore faudrait-il comprendre le finlandais; et les sous-titres, en français ou en anglais, sont-ils véridiques ? sont-ils identiques sur tous les écrans ? ou introduisent-ils subrepticement une perturbation complémentaire ? Pour compléter cette fragmentation physique, le récit lui-même est brisé, éparpillé, pas vraiment linéaire, mais zigzaguant, avec des reprises, des incidentes, des digressions. L’esprit doit être aux aguets, pour tenter de tout situer, de rebâtir un fil conducteur. On en sort épuisé, mais émerveillé.
Sur trois écrans, The House parle de psychose et d’enfermement, de la folie qui guette, tapie dans l’ombre; mais je ne suis toujours pas convaincu des vertus de la lévitation. Consolation Space, sur deux écrans mêle histoire tragique (divorce, mort) et blagues idiotes ou kitsch supra-naturel. L’histoire peut déplaire, mais l’articulation entre les deux écrans, celui de la narration et celui de l’incidente, celui de la structure essentielle du récit et celui des détails inutiles, est attachante et sensible.
C’est sur un unique écran, mais immense que Fishermen se déroule: une barque de pécheurs sénégalais tente de franchir la barre, les rameurs épuisés s’abandonnent aux éléments déchaînés, la barque chavire, hommes et équipements flottent de ci de là, une autre barque repart. Face à cet écran immense, le spectateur, qui ne peut que difficilement absorber toute l’image d’un coup vu le manque de recul, frissonne, frémit, et entre dans l’image en quelque sorte. Les vidéos sur écran télé de l’entrée sont très différentes, en noir et blanc, courtes, rapides, plus heurtées, moins subtiles aussi. Quant aux photos, c’est à mon sens la partie la moins intéressante de l’exposition.Photos courtoisie du Jeu de Paume.
Where is Where ? : Installation sonore de 6 projections DVD; Photographie de Marja-Leena Hukkanen; Courtesy Marian Goodman Gallery, New York et Paris; © 2008 Crystal Eye – Kristallisilmä Oy, Helsinki.
The Hour of Prayer : Courtesy Marian Goodman Gallery, New York et Paris; © Crystal Eye - Kristallisilmä Oy, Helsinki; Photo de Andrei Jewell à Two Rooms, Auckland, 2006.
Fishermen (Etudes, n°1) : Courtesy Marian Goodman Gallery, New York et Paris; © Crystal Eye - Kristallisilmä Oy, Helsinki.