Il y a 30 ans jour pour jour, sous la pluie battante de Rio de Janeiro, le monde de la Formule 1 connaissait une nouvelle histoire d'hommes qui allait mal finir.
1981: c'est l'année où IBM lança le premier ordinateur personnel, l'année où Ronald Reagan devient président des Etats-Unis, que le pape est victime d'une tentative d'attentat à Rome tandis qu'au mois d'Octobre, c'est au tour du président égyptien Sadate de tomber sous les balles. Au niveau musical, c'est aussi le lancement du nouvel album de U2, "October".
Cette année-là, le monde de la Formule 1 est sous la dominance des Williams. Alan Jones, son pilote n°1, a gagné le championnat 1980 tandis que son second, l'argentin Carlos Reutemann, est bien décidé à prendre sa revanche. Le 29 mars 1981, au départ du GP de Rio de Janeiro, les pilotes prennent part au 2ème GP de la saison.
Jones a remporté le 1er GP à Long Beach devant Reutemann et Piquet. Sur la grille de départ, et sous le déluge de Rio qui rend la piste extrêmement glissante, Piquet est en pole position. Il décide de partie en pneu lisse, une erreur qui lui sera fatale. Reutemann est à ses côtés alors que Jones se trouve derrière. Le départ est lancé, les roues de Piquet patinent et le brésilien se retrouve englué dans le peloton au premier virage.
Reutemann, très à l'aise avec ses pneus pluies, s'échappe en tête. Il imprime un rythme élevé que son coéquipier australien est seul capable de suivre. Les Williams font le show en tête, et, alors que nous sommes au 50ème tour des 63 que compte la course, l'argentin possède 5 secondes d'avance sur son coéquipier. Une clause du contrat de Reutemann indique que Jones doit gagner la course s'il se trouve à moins de 7 secondes derrière Reutemann. L'argentin doit donc s'exécuter mais pour le moment, aucun ordre n'est donné par son équipe.
Reutemann ne voit pas le panneau
Nous sommes en 81, il n'y a pas de radio, et il faut donc faire appel au bon vieux panneau en bois pour transmettre les informations au pilote. Pour Reutemann, pas de problème. Il peut gagner la course avec aisance, comme il nous le confirma en Janvier dernier lors d'une rencontre nocturne dans le fameux bar "La Biela" de Buenos Aires: "Je pouvais largement augmenter mon rythme et prendre jusqu'à 20 secondes d'avance sur Jones. Mon meilleur tour était en 1m54s78 alors que Jones était en 1m55s21. Ma voiture était supérieure ce jour-là sous la pluie."
Au 55ème tour, Williams se décide à transmettre ses ordres et montre le fameux panneau à Reutemann qui ne prête pas à l'équivoque: "Jones-Reut". L'argentin feint de ne pas voir le panneau et continue au même rythme. Son équipe lui montrera le panneau jusqu'au 59ème tour mais sans succès. Reutemann finit par remporter la course devant Jones, relégué à plus de 4 secondes.
L'australien, furieux, refusera de rejoindre le podium et laissera son coéquipier fêter sa victoire en compagnie du 3ème, Riccardo Patrese. Dans la série des trahisons entre pilotes, Reutemann vient de lancer une mode qui sera monnaie courante entre 1982 avec l'épisode Pironi-Villeneuve d'Imola 82 et d'Arnoux-Prost au GP de France 82. Plus proche de nous, on se souvient du dernier GP d'Allemagne où Felipe Massa fut contraint à s'effacer face à Alonso suite à des consignes d'équipe données par radio.
Après le GP, Reutemann affirma qu'il ne pouvait pas voir les panneaux à cause de la pluie. Mais 30 ans plus tard, après un bon verre de vin argentin partagé dans ce haut lieu de la gastronomie locale, Reutemann confia enfin la vérité: "bien sûr que je l'ai vu ce panneau et les membres de l'équipe s'agiter sur le mur du stand. Mais j'ai pensé à mon métier de pilote et à ma philosophie en tant que sportif de haut niveau qui courre pour gagner. S'il faut que je m'efface pour Jones, alors autant rentrer directement au stand, je fais mon sac et je quitte le monde de la F1 pour toujours. Et je fais autre chose. J'ai décidé de désobéir. Je ne pouvais pas faire autrement par rapport à ma conscience et à mon éthique."
Reutemann sera puni à la fin de la saison lorsqu'il perdra le titre de champion du monde pour un petit point face à Nelson Piquet lors du dernier GP à Las Vegas. Ce jour-là, Alan Jones et toute l'équipe Williams sabrèrent le champagne pour fêter sa défaite. Dégouté par le monde de la F1, Reutemann prit sa retraite pour se lancer dans une carrière politique qui le fit gouverneur de l'état de Santa Fé avant d'envisager, pourquoi pas, de devenir le prochain président de la république d'Argentine.