Le maintien à domicile en quelques questions (1)

Publié le 29 mars 2011 par Yann Frat / Un Infirmier Dans La Ville

On est venu me chercher pour participer à un ouvrage collectif sur le maintien à domicile avant de finalement me renvoyer mes textes à la geule sans merci ni merde (chouette, j'adore...). 

Comme je ne suis pas du genre dépensier et que je les trouve pas si mal voici donc mes textes ...

Ceci dit le livre en question est tout pourri alors je n'ai pas perdu grand chose ;))

Donc, le maintien à domicile en quelques questions vol 1


 « Moi au début j’étais comme tout le monde, laisser ses vieux en maison je trouvais ça vraiment trop dégueulasse et tout, alors quand j’ai appris que ma mère avait Alzheimer avec ma femme on l’a prise à la maison, normal quoi.
Au début ça s’est bien passé. Bon, ma fille a fait un peu la gueule parce qu’on lui a pris sa chambre et qu’elle devait dormir avec son frère mais globalement ça allait pas mal.  Et puis le reste de la famille était tellement content d’avoir trouvé une solution pour garder mamie sans la mettre en maison, c’est vrai quoi, après tout c’est mieux pour tout le monde non ? Et puis c’est moins cher et puis c’est plus simple…

...

...

En fait tout a commencé à déconner avec la maison de mamie….
 Mamie elle avait une petite maison en ville, pas le grand luxe mais quelque chose de correct. Évidemment au bout d’un an quelle était chez nous, je me suis dit « c’est idiot il faut faire quelque chose… », en plus la maison commençait à s’abimer alors…. Alors j’ai demandé à mamie ce qu’elle voulait faire et elle a absolument refusé de vendre. Je lui ai parlé de louer alors mais elle a refusé encore car elle était persuadée qu’elle reviendrait vivre chez elle dans quelques semaines. C’est là que je me suis dit que, quand même, on n’allait pas rester comme ça et qu’il faudrait peut être que je devienne son tuteur légal pour éviter ce genre de problèmes et j’ai donc réuni le conseil de famille…
 Et là ça a été ma première erreur….
Pendant le conseil, bizarrement, personne ne voulait être le tuteur mais tout le monde était d’accord pour que ce ne soit pas moi… Tout ce qu’on m’a dit c’est : « attends tu comprends quand même, faut pas pousser… » alors j’ai pas poussé… Et j’ai laissé tomber : pas de tuteur... La maison est tombée elle aussi d’ailleurs, mais en ruine après avoir été squattée trois ans… Par contre, bizarrement, tant qu’elle valait un peu de sous personne ne voulait que je m’en occupe mais quand elle a commencé à valoir moins cher que les réparations, là, tout a été de ma faute. En gros c’est là que j’ai compris que ma famille me prenait pour un voleur et que j’ai commencé à ne plus les voir.

Ensuite c’est là que mamie a commencé à décliner sévèrement. Au départ c’était gérable ; elle perdait ses clefs, elle mélangeait les noms, les prénoms, tout ça… Et puis petit à petit elle s’est perdue dans la rue, elle a commencé à ne plus nous reconnaitre, jusqu’au jour où la police l’a ramassée à poil dans la rue à quatre heures du matin parce quelle était passée par la fenêtre de sa chambre pour sortir… J’ai dû aller la chercher au commissariat et c’est là qu’un planton m’a dit que « quand on a des vieux on s’en occupe, merde ! ».
Bon, à partir de là évidemment on n’a plus pût la lâcher, on devait l’amener partout avec nous dès qu’on sortait mais elle ne le supportait pas et nous faisait des crises d’angoisse donc on a commencé à sortir de moins en moins et puis à tour de rôle. Pour les week-ends évidemment c’était pareil, on a laissé tomber peu à peu nos amis et pour les vacances c’était carrément impossible parce que personne n’est équipé pour recevoir des gens comme elle. Et puis en plus elle partait en panique dés qu’elle quittait la maison, alors…
Alors c’est là que les gosses ont commencé à aller en colo, chez les amis, chez les voisins. Mais comme ils ne pouvaient jamais recevoir à cause de mamie qui hurlait devant les inconnus évidemment ça n’a duré qu’un temps. C’est là que ma fille à demandé à aller en pension et puis mon fils aussi, c’était mieux pour tout le monde.
Les week-ends donc on ne sortait pas. Les seuls visites qui venaient c’était la famille qui se réunissait chez nous pour les repas du dimanche : ils arrivaient, ils disaient bonjour à mamie, ils bouffaient, ils buvaient et ils se barraient. Un week-end sur deux. Je leur demandé des milliers de fois de venir la garder pour le week-end mais ils pouvaient jamais bien sur, ils étaient trop occupés. Et puis elle ne supportait plus de sortir de la maison et puis ils avaient leur vie. C’est là que ma femme a commencé à partir seule le week-end…
 Je la comprends c’est vrai qu’entre mamie et la famille, les week-ends ce n’était pas la joie à la maison… Et évidemment pendant un week-end où elle était seule… Ma femme a rencontré quelqu’un.
De toutes façons vu que la nuit on veillait à tour de rôle, c’est vrai qu’il y a longtemps que… Alors au bout de quelques mois elle s’est barrée avec les gosses, je comprends. Par contre bien sûr comme je me suis retrouvé tout seul pour garder mamie j’ai dû rater de plus en plus mon boulot alors au bout d’un moment évidemment je me suis fait virer. Alors je suis resté tout seul avec mamie, on vivait sur son APA et sur ce que me donnait le département, avec une femme qui venait tous les trimestres « évaluer mes besoins » et qui les baissait régulièrement. C’est idiot parce que c’est là que j’aurais eu besoin de l’argent de la maison de mamie mais il était déjà trop tard bien sûr…

Un soir, finalement, mamie s’est sentie oppressée et elle est morte comme ça dans mes bras. J’ai organisé l’enterrement avec ce qu’il me restait d’argent et à la cérémonie on n’était que quatre parce que les autres étaient trop occupés pour venir en semaine…
Alors c’est là que j’ai tout vendu pour éponger mes dernières dettes et que je suis reparti refaire ma vie…»

*** m’a fait l’amitié de me demander de compléter son texte par ma propre expérience d’infirmier libéral exerçant à domicile. Dans les lignes qui suivent et dans un but de clarté je vais donc essayer de répondre aux questions/affirmations que je croise le plus souvent dans mon exercice.


C’est à la famille de prendre en charge ses membres !


Il y a une question essentielle autour de laquelle notre société tourne gentiment sans se décider à trancher : La dépendance d’un de ses membres est-elle une charge familiale oui ou non ?
Et si personne ne répond c’est que nous sommes exactement à la croisée des chemins :
D’un coté on peut penser que comme l’enfance, le troisième âge est une étape naturelle de la vie et n’est pas à considérer comme une maladie (en gros vous ne demandez pas d’infirmier pour prendre en charge la « dépendance » de vos enfants alors pourquoi la société devrait-elle  prendre en charge celles de vos vieux ?) et donc il revient, naturellement, à chaque famille de s’organiser comme elle l’entend pour fournir à ses membres âgés ce qu’ils ont besoin quitte à laisser pour chaque famille le libre choix absolu dans les soins qu’elles souhaite donner à ses ainés… La famille est donc l’unité de base de la société et le grand âge fait partie de ses joies et peines normales…


D’un autre coté on peut aussi penser qu’il est parfaitement injuste qu’ayant travaillé toute votre vie, seul vos enfants (quand il y en a) décident de ce qui sera bon pour vous et que la société ne vous donne pas un minimum d’aide pour assurer votre indépendance individuelle jusqu’à la fin de votre vie. D’autre part, il peut être vu comme totalement injuste que ceux qui sont épargnés par la dépendance de leurs proches n’aident pas ce qui y sont confrontés de plein fouet (sinon l’appartenance à une famille « plomberait » directement votre développement personnel), et puis comment définit-on la notion de famille (oncle et tante, frères et sœurs, neveux et nièces ça compte ?) et enfin est-il normal une fois adulte de dépendre de ses enfants ? Ensuite est-il normal une fois adulte de devoir prendre en charge ses parents qu’elle qu’ait été votre histoire avec eux (toute les familles ne sont pas les Ingalls de la « petite maison dans la prairie »)? Enfin les enfants sont-ils forcement les mieux placés pour savoir ce qui conviendrait le mieux à leurs parents (attention question piège) ?
Personnellement je n’ai pas de réponse définitive à ces questions... Reste que tant qu’elles n’auront pas été débattues franchement sur la place publique et tranchées clairement une fois pour toutes, personne ne sera gagnant et aucune solution sérieuse ne pourra se mettre en place… Un peu comme aujourd’hui finalement…

A suivre...