La peur enserre l’Occident, et particulièrement la France.
C’est ce que nous révèlent les drames actuels. C’est le réflexe normal de peuples qui ont renoncé depuis longtemps à l’aventure et à l’audace, et qui tremblent devant le moindre risque.
Cette attitude, loin d’éviter les calamités et les tensions, plonge tout le monde dans la crainte du lendemain, et paralyse l’initiative. Le goût de la sécurité a effacé le sens des responsabilités, et crée plus d’insécurité encore.
Je ne fais pas ce constat, que vous faites peut-être aussi, pour verser dans la sinistrose et le désespoir. Tout au contraire, je crois nécessaire d’analyser cette peur du risque, d’en mesurer les conséquences, pour mieux nous en débarrasser. Je ne vous offre pas des jérémiades, mais des exhortations.
D’abord, pourquoi cette peur du risque ? D’abord parce qu’il y a des risques, faciles à repérer, et dont on nous rebat les oreilles avec quelque insistance : risque nucléaire (en vedette hélas), risque climatique, risque du manque d’énergie, ou du manque de nourriture, risque de l’immigration, risque du terrorisme, du fanatisme.
Ensuite parce qu’il y a des marchands de peur, dont l’intérêt est d’amplifier le risque pour impressionner l’opinion publique et l’amener à accepter des solutions qui satisfont leurs vœux et surtout leurs intérêts. Les Verts de tous partis n’ont pas manqué d’exploiter Fukushima pour remettre totalement en cause le nucléaire et promouvoir leurs « énergies renouvelables ». Kadhafi, maintenant défenseur de l’Islam, et ses alliés objectifs ; brandissent la menace d’une longue guerre en Libye pour déstabiliser et diviser les Occidentaux. Les adversaires du capitalisme crient au risque financier pour éliminer le marché et en appeler à l’État.
Mais, fondamentalement, je crois que les pays développés ne supportent plus l’incertitude, et finissent par assimiler l’avenir à un risque.
Or, le risque n’est pas l’incertitude. Le risque naît de l’écart entre le résultat obtenu et le résultat attendu. Admettre cet écart éventuel, c’est accepter le risque. Mais, inversement, peut-on éviter l’écart ? Il faudrait supprimer pour cela l’incertitude. Or, s’il y a certaines incertitudes que l’on peut imaginer, probabiliser, quantifier, il en est d’autres dites « radicales ». Il y a des accidents imprévisibles, des choses que l’on ne peut même pas imaginer, dont on n’a aujourd’hui aucune idée et qui pourtant se réaliseront. Nulle assurance, nulle gestion ne peut les prévenir.
Voilà le constat : la connaissance humaine est limitée. Il nous faut humblement accepter que si nous forgeons notre avenir, l’avenir ne nous appartient pas totalement. Refuser cette humilité, cette réalité, c’est s’exposer au catastrophisme ambiant (récemment dénoncé par Chantal Delsol). Les caprices de la nature, qui peuvent verser en catastrophes, ne devraient pas engendrer notre colère, mais stimuler notre énergie à nous adapter, notre ardeur à nous reconstruire. Ainsi, semble-t-il, réagit le peuple japonais.
Tel n’est pas le chemin pris depuis quelques décennies dans le monde occidental. Car l’État s’est mis en tête de se charger du risque, et de garantir l’individu depuis le berceau jusqu’au tombeau. Les gens ne supportent plus le moindre accident de parcours, ils ont été définitivement déchargés de tout souci futur. Plus besoin d’épargner, de s’assurer, de veiller à sa santé, à son éducation, à son emploi : la Nouvelle Providence s’occupe de tout. Moyennant quoi elle est habilitée à vous spolier de votre travail et de vos biens. Le risque, jusque là perçu au niveau individuel et familial, est désormais socialisé, et ce faisant, il est devenu global. Tout le monde court le même risque en même temps puisque tout le monde a le même assureur tous risques. Le revers de la médaille c’est que lorsque l’assureur n’assure plus, il n’y a plus de recours possible au niveau personnel : on a désappris à réagir et à se prendre en charge.
Ces analyses montrent réellement la solution. Le risque majeur dont on doit se débarrasser c’est le risque de l’État providence. Les individus et les communautés doivent revendiquer leurs responsabilités, et reprendre en mains ce qui n’aurait jamais dû leur échapper : le projet personnel d’avenir. Personnel, il met en éveil le sens de l’initiative et de l’engagement, il traduit le sentiment de chacun face aux lendemains : il y aura des audacieux et des timorés, des gens actifs et des gens résignés. L’attitude face au risque est subjective. Mais il ne s’agira jamais que d’un projet, c’est-à-dire qu’il n’effacera pas l’incertitude radicale, il saura accepter le malheur parce qu’il fait hélas partie de la vie.
Ce changement profond ne peut se produire qu’en réveillant la société civile, en sortant beaucoup de gens de leur torpeur, de leur « servitude consentie » (La Boétie). Voilà la bonne dimension à donner à la croisade de la liberté. Il faut accepter le risque de la liberté.
(Illustration René Le Honzec)