Poème solaire

Par Borokoff

A propos d’Agua Fria de Paz Fábrega 3.5 out of 5 stars

Au Sud du Costa-Rica, un soir, une enfant échappe à la surveillance de ses parents venus passer le Nouvel An sur une plage. Un peu plus tard, un jeune couple en visite sur la Côte Pacifique pour négocier la vente d’un terrain, découvre une fillette endormie dans les herbes hautes…

Les premiers plans d’Agua Fria sont très beaux. Une fillette filmée à hauteur de genou avance timidement dans l’eau. Soudain, un homme court vers elle qui la saisit dans ses bras pour l’emporter en riant dans les flots tumultueux. C’est son père. Puis gros plan sur le visage impassible de cet homme scrutant l’horizon au bord de la mer. Image idéale du bonheur familial ? Pas vraiment. Le soleil voilé fait penser que la perception est légèrement tronquée, la sérenité du père apparente.

La fillette en question est une enfant mal dans sa peau. Lorsqu’elle disparait, c’est pour raconter à un jeune couple qu’elle a rencontré que ses parents sont morts, qu’elle est élevée par sa tante et un oncle qui « l’embrasse sur la bouche ». Plus étonnante encore est la réaction de la jeune femme, excessivement perturbée par les propos de la fillette.

Agua Fria est imprégné de non-dits, construit comme une longue rêverie belle et tourmentée. Il y a une langueur dans Agua Fria, symbolisée par le personnage oisif de la jeune femme, une ambiance étrange, à la fois pesante et vaporeuse. Comme si le spectateur alangui, bercé par la caméra, assistait derrière un voile aux évènements.

C’est que Paz Fábrega sent bien les choses et n’en fait jamais trop dans l’étrange ni les effets, filmant à hauteur de la fillette. Pour parvenir à créer cette sensation d’un malaise de plus en plus perceptible chez ses personnages (et d’un engourdissement chez le spectateur), elle reste dans une simplicité de moyens tout en s’appuyant sur des acteurs irréprochables, la fillette et la jeune femme en tête. Mais de quoi parle Agua Fria au juste ? D’une crise de couple ? D’une critique d’un pays colonisé allègrement par les touristes américains, avec l’aval du gouvernement costa-ricain ? D’un peu de tout cela sans doute. Car la grande force du premier long métrage de Paz Fábrega, c’est de ne jamais nommer ni dire explicitement les choses mais de laisser ouverte la porte aux interprétations. A toutes les interprétations.

Pourquoi la jeune femme par exemple semble autant perturbée par les propos de la fillette et d’un inceste qu’elle a inventé de toutes pièces ? Font-ils remonter à la surface des propres souvenirs traumatisants ? Dans Agua Fria, le spectateur ne cesse de se poser des questions. Sur les raisons du mal être de cette fillette au regard mélancolique et qui fuit sa famille, sur la mollesse de cette jeune femme qui se plaint mais ne sait pas s’occuper, s’ennuyant toujours après que ses cousines l’aient rejoint à l’hôtel…

On pense dans la description de ce couple aux films d’Antonioni. Mais dans une interview, Paz Fábrega a confié qu’elle a davantage voulu saisir un « sentiment de paralysie propre à un petit pays traditionnel où jamais rien ne se passe, et où l’on continue à voir dans la jeunesse une maladie que le temps et la patience sont les plus propres à guérir. Une paralysie qui atteint plus particulièrement les filles jeunes, enchevêtrées dans le réseau de leurs doutes et de leurs hésitations, et leurs désirs broyés dans l’anxiété constante qui devient leur définition. »

Dès lors, la jeune femme qui reproche à son mari de la laisser seule à l’hôtel toute la journée représenterait cette forme d’immobilisme et de passivité qui touchent le Costa-Rica. Si l’on a parlé d’onirisme, de cette atmosphère brumeuse, cette sensation de flottement qui baigne Agua Fria, le film est néanmoins ancré dans la réalité, qui mesure l’écart entre deux milieux sociaux antagonistes. Une famille pauvre vit dans un camion sur la plage tandis qu’un couple aisé dort à l’hôtel. En creux aussi, la critique de Paz Fábrega sur son pays, lorsque Bob, le touriste américain confie au jeune homme que « c’est très facile pour un Américain au Costa-Rica d’avoir les accords de la municipalité pour construire et acheter des terrains ».

Dans ce premier long métrage tout en nuances et en ressenti, on retiendra, outre le jeu des deux jeunes actrices, la qualité de la photographie, des lumières, la beauté des paysages, des ciels brumeux sur une plage immense bordée de forêts. Un film plein de promesses, porté par « l’amour des choses et du besoin de les montrer » que la réalisatrice a voulu y mettre. Tiens, mais au fait, n’y aurait-il pas du Rimbaud dans l’air ? « Mais l’amour infini me montera dans l’âme »…

www.youtube.com/watch?v=EoPYX8CuIP8