Aragon par Pierre Daix, troisième !
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C’est la troisième édition de la biographie d’Aragon par Pierre Daix. Comme s’y retrouvent à peine modifiés les mêmes partis pris privilégiant l’aspect politique, on peut se demander si c’était bien la peine de remettre cet ouvrage sur le métier à chaque changement d’éditeur. Il est d’ailleurs aventureux pour l’auteur de laisser écrire en couverture qu’il est le « biographe classique » d’Aragon, le commentaire juste n’étant pas celui de classique mais de « sans concurrence » car jusque-là il est le seul sur le marché. Remarquons que lors de la publication de la première édition (au Seuil), du vivant d’Aragon, celui-ci prit la peine d’annoter le travail de son rédacteur en chef aux Lettres françaises, parfois avec vigueur. C’est un risque qui n’existe plus maintenant.
En réalité, si aucune biographie n’est venue concurrencer celle de Pierre Daix les études sur Aragon sont nombreuses, riches et productives. Tant sur le plan littéraire pur que sur celui de la politique, des travaux universitaires, des correspondances, des mémoires permettent de nuancer, modifier, récuser certaines affirmations qui sont trop souvent reprises comme argent comptant. On aurait aimé que P. Daix en tienne compte pour ce qui le concerne. Or il maintient, de réédition en réédition, un système d’affirmations qu’il perfectionne et qui lui permet de régler sans fin des comptes jamais apurés avec le parti qui fut le sien pendant plus de 30 ans. Certaines assertions ont pourtant besoin d’être prouvées. Ainsi de la prétendue mise à l’écart d’Aragon de Ce soir en 1944, dont P. Daix déclare dans la deuxième édition que ce fut sur manœuvre de Duclos pour lui faire payer son communisme national (alors que c’est pourtant Duclos qui lui avait fait l’honneur de lui demander d’écrire le texte Le Témoin des martyrs), maintenant attribuée à Thorez qui n’aurait pas apprécié la campagne d’Aragon dans Ce soir sur les milices patriotiques à la Libération. Ingrat Thorez qui ne veut pas savoir qu’Aragon fut un des premiers à faire campagne pour son retour en France. Même constat sur « le communisme national » et certains détails concernant Nizan en 1939, au moment du pacte germano-soviétique dont Jean Albertini, connaisseur sagace de cette période, a montré qu’ils étaient faux dans des travaux qui ne peuvent être ignorés de P. Daix, en particulier ceux relatifs à une réunion des communistes à Ce soir qui n’eut jamais lieu.
Daix construit et reconstruit sans cesse l’histoire de sa relation au communisme. Ce sera sans doute là son grand œuvre. Une biographie d’Aragon mérite d’être établie sur d’autres bases. Elle viendra, inéluctablement. Mais il faut reconnaître à l’auteur une qualité qu’il n’altère pas, de livre en livre, c’est celle des propos tenus sur Elsa et le souvenir qu’il en garde.
François Eychart
Aragon par Pierre Daix, Éditions Tallandier, 26 euros