Internet et municipales : l'appel d'air

Publié le 31 janvier 2008 par Verbal Kint
Paradoxe : dans la foulée de l'élection présidentielle, la politique sur la Toile ne s'est jamais aussi bien portée. Blogs, sites de presse, réseaux sociaux, le débat politique a investit l'Internet francophone à toute vitesse. Mais, à deux mois et demi des élections municipales, le Net politique local ne semble pas répondre à l'appel.

"La campagne des municipales devrait être idéale pour les micromédias locaux sur le Web, comme les blogs", souligne Stanislas Magnant, cofondateur de Netpolitique. Les internautes sont d'ailleurs de plus en plus mobilisés : la proportion d'internautes adeptes des vidéos politiques en ligne a quasiment doublé en un an ; elle atteint aujourd'hui 23 %, et la navigation sur les sites de formations politiques (20 %) ou de blogs politiques (16 %) progresse respectivement de 5 et 6 points, selon une enquête de l'IFOP de décembre 2007 pour Le Journal du dimanche. "Et encore, la campagne a à peine commencé !", estime Yves-Marie Cann, du département Opinion publique de l'IFOP, qui a conduit l'étude. "Internet jouera un rôle important pour les municipales", prédit-il. Encore plus essentiel, selon lui, que pour l'élection présidentielle. Comme les médias traditionnels ne peuvent pas couvrir l'actualité des 36 000 campagnes électorales, c'est sur le Réseau que le citoyen ira chercher l'information locale.

"Sauf que pour l'instant c'est franchement décevant, on sent un manque d'enthousiasme et de dynamisme", estime Gérard Leray, du blog La Piquouse de rappel, blog citoyen de Chartres, gagnant du prix du blog d'expression locale 2007. Comme d'autres acteurs de la blogosphère politique, il déplore la pauvreté des blogs des candidats et leur manque d'investissement sur Internet. "Tous les politiques ont un blog, mais c'est la guirlande sur le sapin, ça reste un outil de propagande classique", dénonce-t-il. "On est un peu dans l'expectative, c'est vrai, tempère Stanislas Magnant, mais il existe des 'réseaux dormants' constitués lors de la campagne présidentielle, notamment dans le cas de Désirs d'avenir. Les structures existent, vont-elles se réactiver à l'occasion des municipales ?"

De fait, peu de candidats font participer les internautes. Jean-Noël Guérini, candidat socialiste à Marseille, tente sur son site de campagne de susciter un débat participatif, du même type que ceux mis en œuvre par les partisans de Ségolène Royal. Mais les participants sont peu nombreux et ne semblent pas dépasser le cadre des militants de la campagne. A Grenoble, le maire sortant (PS) Michel Destot y parvient avec un peu plus de succès, mais la participation reste faible.

Seul l'usage de la vidéo comme support de campagne semble s'être répandu parmi les candidats. Certains, comme Karim Boudjema, candidat UMP à Rennes, vont jusqu'à se mettre en scène, à la manière d'un reporter : par exemple, lors de la rave party organisée en marge du festival des Transmusicales.

Surtout, la plupart des candidats prennent peu de risques. Le blog d'Alain Juppé, maire UMP de Bordeaux, qui existe pourtant depuis septembre 2004, n'affiche pratiquement que des commentaires favorables au candidat. Et ce n'est pas le seul : les blogs de Dominique Perben (candidat UMP à Lyon), Dominique Voynet (candidate des Verts à Montreuil), Serge Lepeltier (maire UMP de Bourges) regorgent de commentaires positifs. Les sites de Daniel Delaveau (candidat PS à Rennes) ou François Rebsamen (maire PS de Dijon) ne sont tout simplement pas ouverts aux réactions. De même, aucune réaction n'est publiée sur le "journal de campagne" de Pierre Cohen, candidat PS à Toulouse.

"Les partis politiques sont très frileux", analyse Christophe Grébert, candidat indépendant à Puteaux, "les partis n'ont aucun intérêt à organiser le participatif sur Internet". Blogueur depuis six ans sur Monputeaux, il a pris l'initiative d'une liste citoyenne, dont le projet est élaboré de manière collaborative sur le site puteauxensemble.com. "En six mois, on a reçu une centaine de contributions de qualité, sur tous les sujets qui concernent la ville. Sans Internet, on n'aurait jamais pu toucher des gens aussi divers", s'enthousiasme M. Grébert, qui estime que le fait d'être un blogueur reconnu localement a rendu légitime sa candidature.

"Les partis politiques ont la gueule de bois après les campagnes présidentielle et législative", concède Gérard Leray. "Le temps d'élaboration du projet est déjà terminé. Or, quand on fait campagne, on ne fait pas débat, on essaie surtout de se faire connaître", note Stanislas Magnant.

La Netcampagne des municipales sera peut-être une campagne invisible. Selon l'IFOP, une des pratiques qui connaît une véritable expansion est l'envoi par mail de vidéos ou d'articles politiques. "16 % des internautes auraient déjà transféré à des proches par mail des informations sur les municipales", note M. Cann dans son enquête. "Ce résultat est d'autant plus élevé que 14 % des internautes interrogés par l'IFOP en avril 2007 revendiquaient une telle pratique à propos de la présidentielle quelques jours à peine avant le premier tour", analyse-t-il.

Un sentiment partagé par Stanislas Magnant : "Des outils comme les listes d'information vont être déterminants pendant la campagne. Certes, ce n'est pas très Web 2.0, pas très sexy, mais c'est très efficace !"

"La campagne sur le Net sera difficile à percevoir de manière globale, à travers les moteurs de recherche, estime Christophe Grébert, car elle aura lieu sur des blogs locaux pas forcément politiques, qui vont évoquer les municipales au détour d'un post ou d'un commentaire." "Les blogs citoyens entièrement consacrés aux municipales sont très peu nombreux, c'est une activité qui prend énormément de temps", explique Gérard Leray.

Et qui n'est pas sans risque : l'auteur de La Piquouse de rappel est poursuivi par le maire de Chartres pour diffamation devant le tribunal correctionnel, jeudi 10 janvier. Une situation que connaît bien Christophe Grébert, attaqué à plusieurs reprises par la mairie de Puteaux. "Au fond, les blogs et la participation des internautes font encore peur aux politiques, estime Gérard Leray. Dans leur logique, c'est un outil trop incontrôlable. Dommage pour la démocratie locale."


Le Monde
Lire l'article
Le blog de VerbalKint - www.verbalkint.net -