Dans la première partie de cet article nous parlions de comment le thème de la décapitation du Baptiste par instigation de la fille d’Hérodias, qui comme elle avait fait avec les peintres et sculpteurs pendants des centaines d’années (Memling, Cranach, Durero, Ghirlandaio, Botticelli, Tiziano, Moreau, etc.), avait tant troublé l’imagination des écrivains de la deuxième moitié du 19ème siècle, et s’était converti en une obsession pour Oscar Wilde pendant sa deuxième période parisienne.
Malgré la rivalité avec Stéphane Mallarmé, qui n’avait pas encore réussit à terminer son poème Hérodiade, les jeunes écrivains de son cercle ont montré tout de suite leur soutien à Wilde. Concrètement Marcel Schwob, Adolphe Retté et Piere Louÿs, à qui est dédiée l’œuvre, ont collaboré avec l’écrivain irlandais dans les corrections de plusieurs brouillons du texte (rappelons que Wilde avait décidé d’écrire l’œuvre en un français vaguement archaïsant) qui commence avec une narration en prose pour se métamorphoser ensuite en poème et finalement dans sa forme définitive en pièce de théâtre.
Bien que la connaissance de Wilde sur l’iconographie de Salomé était incommensurable, l’unique représentation picturale qui paraissait le satisfaire pleinement était celle de Gustave Moreau, avec laquelle il commença à être familiarisé au travers de la séduisante description que fait Huysmans de ses tableaux sur le thème dans le célèbre cinquième chapitre de son roman A Rebours. Donc Moreau avait su transmettre l’idée que Salomé n’était pas une simple danseuse mais plutôt l’incarnation symbolique de la luxure immortelle.
La fixation de Wilde le poussait non seulement à parler constamment de se sujet, mais aussi à poursuivre dans les femmes qu’il voyait dans la rue l’image parfaite de Salomé et à examiner les bijouteries de la rue de la Paix à la recherche d’ornements qui pourraient servir pour elle. Il l’imaginait très souvent nue, ne portant que ces extraordinaires ornements, pierres précieuses et perles, qui devaient donner la sensation d’exhaler sur sa peau.
En une occasion il demanda à voir le buste d’une femme décapitée avec des taches de sang peintes dans le cou qui se trouvait dans la maison de l’écrivain symboliste Jean Lorrain et il l’identifia immédiatement avec la tête de Salomé “qui s’est fait décapiter”, il dit, “produit du désespoir C’est la vengeance du Baptiste”.
Une autre fois au Moulin Rouge, en voyant une acrobate roumaine dansant sur les mains comme dans le roman de Flaubert, il la fit appeler sans succès pour lui offrir le rôle de Salomé.
Mais peut-être l’histoire la plus mémorable s’est passée dans la maison du poète Stuart Merrill, quand Rémy de Gourmont l’informa qu’il confondait et mélangeait invariablement deux Salomé différentes, la fille d’Hérodias et la danseuse qui apparait dans la bible. Plus tard Wilde commenta: “Ce pauvre Gourmont pense qu’il en sait plus que les autres. Ce qu’il nous a dit est la vérité d’un professeur de collège. Moi je préfère l’autre vérité, la mienne, qui est celle du rêve. Entre deux vérités, la plus fausse est la plus vraie”.
Paul Oilzum