François Bayrou : le serpent de mer de la proportionnelle

Publié le 24 mars 2011 par Sylvainrakotoarison

Comment un leader national aux valeurs morales solides et au projet politique cohérent et pertinent peut-il être si faible en stratégie électorale ?
 

Le président du MoDem François Bayrou était l’invité de France Info, de LCP et de l’AFP dans l’émission "Questions d’info" le 23 mars 2011. En tant qu’électeur de François Bayrou, tant en 2002 qu’en 2007, j’apprécie toujours François Bayrou pour sa capacité d’analyse très développée même si je ne le rejoins pas dans sa stratégie suicidaire adoptée depuis 2007.

Les positions de François Bayrou sur la dette étaient très en avance sur la crise de l’euro : il a été le seul candidat à l’élection présidentielle de 2007 à marteler l’importance de réduire les dettes publiques (Le gouvernement actuel a même repris son idée, qui sera probablement votée l’été prochain, d’inscrire dans la Constitution l’interdiction du déficit de fonctionnement).

Son refus de fusion de l’UDF dans l’UMP dès 2002 avait de son côté anticipé cette dérive univoque du parti majoritaire vers l’ultradroite haineuse (il suffit de voir dans un sondage les 77% de sympathisants UMP hostiles au vote républicain anti-FN ou encore de savoir qu’un cinquième des parlementaires UMP seraient prêts à faire alliance avec le FN).

Où l’on reparle du vote républicain

Aujourd’hui, comme certains leaders de la majorité, François Bayrou a appelé sans ambiguïté à faire élire les candidats républicains, ceux qui se trouveraient en duel face à des candidats du FN. C’est d’ailleurs sans doute la Ministre de la Recherche Valérie Pécresse qui a le mieux résumé l’idée de ce vote républicain : « Le PS, ce n’est pas mes idées, mais le FN, ce n’est pas mes valeurs. » (Europe 1 le 20 mars 2011).

Dans sa prestation, François Bayrou a donc parlé de cette ligne de fracture au sein de l’UMP que j’avais précédemment évoquée entre le vote républicain et le ni-ni (faisant remarquer justement que ni-ni, ça signifiait l’équivalence entre le PS et le FN) et a souhaité le sursaut de ceux qui, à l’UMP, sont porteurs des valeurs humanistes et sociales.
François Bayrou ne pense pas qu’il y aura une alliance entre l’UMP et le FN et surtout, il ne l’espère pas. C’est donc assez paradoxal d’embrayer à la suite de ses propos raisonnables sur son souhait d’instaurer un scrutin proportionnel aux élections législatives.

Je sais que cette demande de proportionnelle n’est pas nouvelle et est une revendication ancienne et commune aux centristes, aux écologistes… et au FN.

J’y suis complètement hostile pour plusieurs raisons.

La proportionnelle, rêve de tout militant du FN

La première, c’est qu’avec un FN à 15% comme lors du premier tour des élections cantonales, il serait probable qu’un scrutin proportionnel dans un cadre départemental à la plus forte moyenne (par exemple) enverrait au moins une cinquantaine de députés du FN à l’Assemblée Nationale.

Or, ce serait le meilleur moyen de donner un brevet de respectabilité au Front national, en lui dotant de moyens politiques et matériels considérables (chaque député est une petite entreprise qui emploie trois personnes, et un budget est mis à disposition de chaque groupe constitué, etc.), ce qui renforcerait son idéologie xénophobe et démagogique.

L’exemple le plus criant est les élections législatives du 16 mars 1986 dont la proportionnelle habilement décidée par François Mitterrand avait amené à l’hémicycle 35 députés du FN (avec 9,7% des suffrages exprimés). Leur présence n’a jamais fait réduire leur influence. Au contraire, le FN avait encore progressé de moitié à l’élection présidentielle suivante (14,4% le 24 avril 1988).

La proportionnelle, antichambre d’une alliance UMP-FN

Concrètement, le risque majeur est que l’émiettement des partis majoritaires (les deux grands partis gouvernementaux n’ont même pas représenté 42% des suffrages exprimés ce 20 mars 2011) entraînerait probablement une absence de majorité absolue claire et la possibilité (désastreuse sur le plan national et moral) de devoir se soumettre à une alliance plus ou moins tacite entre l’UMP et le FN.

Une telle conséquence serait très plausible dans la mesure où un trop grand nombre de parlementaires UMP sont déjà partisans d’une telle alliance. Cela reviendrait un peu à la situation parlementaire israélienne qui a permis à l’extrême droite très minoritaire à la Knesset de mener le jeu gouvernemental malgré une victoire du centre gauche aux élections législatives du 10 février 2009.

La proportionnelle, détournement du rôle des députés

François Bayrou a parlé du scrutin majoritaire uninominal à deux tours comme d’un scrutin injuste. Il ne le serait que si les circonscriptions n’étaient pas de taille équivalente. Il est sûr que les évolutions démographiques locales nécessitent des redécoupages en permanence qu’il est parfois difficile de réaliser de façon neutre (le dernier a été fortement contesté notamment par un sénateur ex-RPR de Metz).

Je vais être un peu provocateur, mais l’objectif des élections législatives, ce n’est pas d’élire une assemblée représentative de toutes les sortes de fromages du pays. C’est d’élire des députés qui ont une double mission (constitutionnelle), légiférer (c’est-à-dire voter les lois) et contrôler le pouvoir exécutif. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a d’ailleurs renforcé leurs prérogatives dans ce sens.

Or, pour légiférer, il est indispensable d’avoir une majorité absolue. L’exemple de la législature 1988-1993 (pourtant au scrutin majoritaire) où les gouvernements Rocard, Cresson et Bérégovoy ont montré un ballottement entre centristes et communistes a montré les limites d’une majorité relative. Et surtout, il est préférable qu’un groupe ultraminoritaire (ici, ce serait le FN) ne soit pas le maître du jeu (comme ce fut le cas avec certains groupuscules sous la IVe République).

Aujourd’hui, les médias sont suffisamment ouverts pour que toutes les opinions puissent s’y exprimer (depuis trois mois, on voit Marine Le Pen partout). Ce n’est pas nouveau : cela fait au moins quarante ans que le débat politique ne se fait plus à l’Assemblée Nationale mais dans les médias, qu’ils soient traditionnels (télévision, radio, presse) ou, maintenant, modernes (Internet). Chaque électeur intéressé peut donc être convenablement "éclairé" avant chaque élection et choisir en son âme et conscience en dehors de toute pression.

La proportionnelle, fossoyeuse du MoDem ?

François Bayrou a fait, pour justifier la proportionnelle, un rapprochement entre les 31,2% de Nicolas Sarkozy au premier tour de l’élection présidentielle du 22 avril 2007 et les 313 députés UMP élus aux élections législatives du 17 juin 2007, représentant 54% des sièges, en oubliant de dire que l’UMP avait obtenu respectivement 39,5% et 46,4% des voix au premier et au second tour de ces élections législatives et que l’élection d’un député n’est pas seulement nationale (elle l’est certes en grande partie) mais dépend également de la personnalité des candidats sur le terrain.

D’ailleurs, si l’on en juge par le score du MoDem le 20 mars 2011, à savoir 1,2% des voix, ce dernier aurait moins de chance d’obtenir en juin 2012 des sièges à l’Assemblée Nationale qu’avec un scrutin majoritaire où chaque individu pourrait compter personnellement.

On me répondrait peut-être que sur les 400 cantons où étaient présents un candidat du MoDem, ce parti a reçu en moyenne 13,9% des suffrages exprimés avec parfois de beaux scores (je pense notamment à Jérôme Sourisseau, qui a obtenu 37,3% à Segonzac, en Charente, en ballottage favorable face au PS Gérard Jouannet, 22,7%), mais le fait de ne pas avoir présenté des candidats dans tous les cantons est aussi un renoncement politique qu’il faut savoir assumer (même s’il est involontaire).

La proportionnelle, renforcement du fossé entre la classe politique et le peuple

Alors qu’on reproche aux élus d’être éloignés des préoccupations populaires (l’affaire Michèle Alliot-Marie n’a pas arrangé les choses), ce n’est pas avec le scrutin proportionnel qu’on va réduire ce fossé, au contraire. Le député est au moins présent dans sa circonscription et fait souvent office d’assistant social dans les problèmes d’emploi, de logement et de santé. Ce lien de proximité serait complètement supprimé avec la proportionnelle. Il suffit de voir la manière dont les députés européens, élus à la proportionnelle, sont ne serait-ce que connus par leurs électeurs (les grandes circonscriptions n’ont pas amélioré la situation) pour en prendre la mesure.

La réalité, c’est qu’un scrutin proportionnel renforcerait l’emprise des appareils politiques sur leurs électeurs. Et ne ferait que renforcer les partis populistes qui jouent sur ce phénomène pour apporter par ailleurs des idées néfastes à la République.

Restons sur les valeurs !

Le Général De Gaulle avait bien une certaine idée de la France. Ce n’était pas celle du régime des partis. La proportionnelle remettrait en cause les valeurs républicaines par sa capacité à promouvoir des partis extrémistes (à droite ou à gauche) qui prendraient en otage les futures majorités gouvernementales.

Et ce n’est pas cela que je veux pour mon pays.

Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 mars 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Encore un effort, Monsieur Bayrou !
La ligne de démarcation.

Il faut découpler les élections législatives de l’élection présidentielle.

Le scrutin des futurs conseillers territoriaux.


http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-277