Avant de partir au Japon pour une dizaine de jours de vacance, je connaissais bien sûr Takashi Murakami, mais je n’étais pas une fan de son travail.
Je me disais que c’était trop pop, trop facile, peu subtil. Puis, ce qui a aggravé son cas a été la collaboration qu’il a entamé avec la marque Vuitton. Après avoir assisté à une profusion sans égal de sacs, portefeuilles, pochettes à fond blanc avec le célèbre monogramme coloré, j’ai dit « Ça suffit » et, en bonne snob gauchiste, j’ai declaré que Takashi Murakami était un vendu.
De retour en Europe après mon magnifique et court voyage japonais, j’ai l’impression d’avoir plus compris ce que notre Murakami fait et pourquoi, au-delà de Vuitton, c’est un artiste à ne pas perdre.
Takashi Murakami, The apocalyptic champ, acrylique sur toile, détail
Quand on parle de cet artiste, un des plus cotés du monde entier, on cite souvent la culture des mangas, les bandes dessinées japonaises. Je ne suis pas une spécialiste, je n’ai jamais trop aimé la BD, mais à Tokyo j’ai pu voir de près les fameux « otaku », ceux que communément sont appelés « fans de la BD ». En réalité les otaku sont bien plus que de simples passionnés, ils sont complètement fous! Et ce terme, qui dans les pays occidentaux n’a pas forcement une signification négative, au Japon s’applique à tous ceux qui ont une passion monomaniaque (pas que la BD, mais aussi les jeux vidéos ou les séries télévisées) et qui vivent en marges de la société. A part cela, il faut aussi savoir que les BD au Japon sont très très diffusées auprès de toute sorte de gens, hommes ou femmes, jeunes ou moins jeunes, c’est vraiment un objet de la culture de masse, bien plus que chez nous. Donc la première source d’inspiration de Murakami est cet univers inépuisable d’icônes pop (dans le vrai sens du terme : populaires) présent dans les innombrables mangas, dont notre artiste est aussi un grand passionné.
La deuxième source d’inspiration, qui n’est pas distincte de la première, est l’esthétique « kawaii », c’est-à-dire le foisonnement d’éléments, personnages, décorations « mignons ». Les japonais sont fous de ces petits détails colorés et enfantins qu’on peut trouver partout, même sur les panneaux qui indiquent des travaux dans la rue ! Vu d’ici, on se dit souvent que les japonais sont complètement dingues, mais quand on revient du Japon, on a la même maladie. On voudrait s’entourer de jolis animaux en peluche ou bibelots kawaii et je vous assure, ça marche aussi sur les hommes ! (un exemple ? voilà ma passion du moment).
La combination de l’esthétique kawaii et de celle qu’ici nous considérons comme typiquement « japonaise » (design extrêmement épuré, abondance de blanc et de lignes droites…) est ce que Murakami a baptisé « superflat ». Dans cette esthétique, dont les œuvres de Murakami sont impregnées, tous ces éléments qu’on vient d’évoquer, mêlés avec ceux de la culture traditionnelle japonaise, sont représentés sur une surface plate, brillante et polie.
Le grand mérite de Takashi Murakami est donc l’affranchissement de la culture populaire japonaise et la capacité de mélanger ses éléments avec la culture « haute », celle justement de l’art contemporain ou de la tradition. Pour nous, les occidentaux, pour qui Andy Warhol est encore une icône et figure parmi les artistes les plus connus même parmi les non-specialistes, cette opération pourrait n’avoir absolument rien d’intéressant et de nouveau. Pour moi c’était comme ça avant mon voyage au Japon! Mais le Japon demeure une société très fermée et la mentalité est vraiment différente de la nôtre. La séparation entre culture « haute » (notamment la peinture, celle que Murakami a apprise pendant ses années d’études) et la « sous-culture » existe encore et donc le travail que cet artiste a réalisé a encore plus d’intérêt et de signification.
Dans ce sens, sa récente exposition personnelle à Versailles (en 2010) mettait très bien en scène cette relation entre un travail moderne, qui puise ses racines dans la culture de la rue, et l’art « haut », celui des élites du passé et en plus en Europe.
Même son attention pour la mode, le marché, les produits « dérivés » de ses œuvres d’art montrent très bien l’attitude de l’artiste et sa filiation avec Andy Warhol. D’alleurs, Murakami a crée autour de lui une équipe d’artistes et de collaborateurs qui rappelle le fonctionnement de la Factory dans les années 1960 à New York. Bon, après ça, le sac Vuitton Eye Love ça reste quand même redoutable !