Une alliance sino-canadienne face ŕ Airbus et Boeing
Bombardier et Comac ont décidé de faire un bout de chemin ensemble. Est-ce l’alliance de la carpe et du lapin ? Ou, tout au contraire, la Ťvraieť fin du duopole Airbus-Boeing ? L’annonce de cet accord est tellement inattendue qu’on hésite ŕ la qualifier et ŕ formuler un avis.
A Montréal et Shanghai, aprčs műre réflexion, il est visiblement apparu que les visées des programmes de court/moyen-courriers C.Series et C919 sont complémentaires et non pas concurrentes. L’avion canadien offre une capacité maximale de 130 places environ et il n’est apparemment pas question d’aller franchement au-delŕ, tout au moins dans l’avenir Ťprévisibleť. Son pendant chinois, le C919, aura une capacité de 150 places et plus. Dčs lors, ŕ deux, ils peuvent ętre considérés, avec beaucoup d’imagination, comme l’amorce d’une gamme, d’une famille.
Ils n’ont pourtant pas grand-chose en commun, si ce n’est un certain nombre de fournisseurs. Mais l’un sera propulsé par des Pratt & Whitney PW1000G ; l’autre par des Snecma/General Electric CFMI Leap-X. Le C.Series est évidemment un enfant de la libre entreprise, version nord-américaine pure et dure, l’autre un symbole du capitalisme d’Etat. Mais leurs ingénieurs parlent a priori la męme langue. D’oů la conviction qu’ils réussiront affirment les artisans de l’alliance, Pierre Beaudouin et Zhang Qingwei.
Ils ont tous les deux beaucoup ŕ gagner de cet accord. Les Canadiens peuvent y voir une occasion unique d’aborder le marché chinois dans de bonnes conditions. Les Chinois, pour leur part, en quęte de crédibilité commerciale hors de leurs frontičres, devraient ętre aidés par leurs nouveaux amis. S’y ajoutent les propos inévitables, obligatoires, lorsque naît un tel accord international, dominés par les termes incontournables que sont mise en commun, synergies, économies d’échelle, etc. Tout cela étant bien entendu inscrit dans un contexte Ťglobalť.
Livrables ŕ partir de 2016, C.Series et C919 démarrent lentement, au plan commercial s’entend. Ils ont obtenu ŕ ce jour respectivement 90 et 100 commandes, ce qui est bien peu. En revanche, la constance avec laquelle les dirigeants d’Airbus disent le plus grand mal de l’appareil canadien permet de supposer qu’il est considéré comme un danger potentiel. Encore que l’on laisse entendre ŕ Toulouse que l’A320 NEO remotorisé, lancé il y a peu, aurait pulvérisé le business plan du nouveau venu. Ce qui reste ŕ démontrer.
Il est étonnant de constater que Bombardier a réussi ŕ établir ces liens avec la Chine lŕ oů l’Europe avait échoué, au fil des années, malgré des tentatives crédibles. Cela mise ŕ part l’implantation locale d’Airbus, une chaîne d’assemblage final d’A320, opération moins spectaculaire qu’il n’y paraît ŕ premičre vue.
Par ailleurs, le moment venu, il sera instructif de connaître la stratégie de Comac en matičre de long-courriers. Si Bombardier ne devait pas ętre partie prenante, cela reviendrait ŕ dire que l’alliance qui vient d’ętre annoncée est en réalité limitée et ponctuelle. Dans le cas contraire, Bombardier gagnerait nettement en importance.
Une chose est d’ores et déjŕ certaine : la Chine aéronautique voit loin et elle voit grand. Mieux, il ne fait plus de doute qu’elle a décidé de brűler les étapes et qu’elle dispose des moyens voulus pour adopter un tempo rapide. Ainsi, on constate qu’elle entend bien ne pas dépendre éternellement des motoristes occidentaux et, dans le but de préparer son indépendance, elle compte sur le motoriste national Avic Engines, lequel entame actuellement une vaste campagne de recrutement destinée ŕ étoffer son bureau d’études. Sa cible : des ingénieurs américains et britanniques pręts ŕ s’expatrier.
Du coup, des questions inédites se posent en matičre de transferts de technologies. Nombre d’entre elles sont Ťdualesť, c’est-ŕ-dire tout ŕ la fois civiles et militaires. Des ingénieurs américains ou anglais de haut niveau choisissant de s’installer ŕ Pékin ou Shanghai pourraient dans certains cas les emporter dans leurs bagages, ne serait-ce qu’involontairement. D’oů de premičres expressions d’inquiétudes entendues outre-Atlantique ces jours-ci.
Ce n’est pas tout. Les Chinois préparent également leur entrée sur le marché des biréacteurs d’affaires, ce qui explique qu’on leur pręte des projets de coopération avec de grands noms du secteur, ŕ commencer par Dassault Aviation. Mais, sans préjuger de la suite des événements, dans l’immédiat, c’est le constructeur américain Swearingen, en dépôt de bilan, qui pourrait bientôt passer sous contrôle chinois. Ce n’est pas un ténor de sa spécialité mais son petit biréacteur SJ30 serait susceptible de trouver sa place et constituer un bon début pour un nouveau propriétaire ambitieux ... et disposant des moyens de ses ambitions.
Pierre Sparaco-AeroMorning