A l'occasion de la mise en ligne de notre livre numérique "Le Tour du Monde en Cargo", nous avons demandé à un certain nombre de personnalités de nous décrire leur conception d'un monde globalisé. Après Erik Orsenna, Claudie Haigneré, Yves Coppens, Boris Cyrulnik et Luc Montagnier, le musicien Salif Keita
explique sa vision de la mondialisation en insistant sur les dangers
qui frappent le fleuve Niger qui traverse son pays : le Mali.
Photo : Salif Keita © Richard Dumas
THALASSA
Ta en bambara c'est "le feu", lassa c'est "éteindre". Thalassa veut donc dire "éteindre le feu".
Mon métier m'amène à beaucoup voyager. Mais chaque fois que je le peux,
je reviens chez moi au Mali, près du fleuve. J'aime l'avoir à portée de
vue, presqu' à portée de main. Le fleuve me rassure, m'apaise. Le fleuve
m'inspire. Toutes les mélodies que j'ai composées dans ma vie sont nées
de la proximité de l'eau. Et chaque fois que je regarde le fleuve, je
me pose la question suivante : qui va éteindre ces feux ?
La pollution, l'ensablement et la négligence des ministères de
l'environnement des pays qu'il traverse sont doucement en train de faire
disparaitte notre fleuve Niger et ses affluents.
Les cultures maraîchères, qui se développent beaucoup, utilisent des engrais ultra-nocifs.
Le fleuve est aussi le lieu des sacrifices religieux.
Les villageois ne sont pas conscients des dégats qu'ils font, de leur
responsabilité vis-à-vis du fleuve. lls le croient éternel, ils ont
d'autres priorités. Et les Etats concernés ne traitent pas les déchets
comme en Occident.
J'espère que nous aurons un jour la visite de Thalassa pour sensibiliser les peuples concemés et préserver le fleuve Niger, source de nos vies.
Nous devons maintenant tirer les leçons des phénomènes récents, du
dérèglement des climats et des saisons qui sont de véritables signaux
d'alarme.
Pour cela je vois deux obstacles majeurs : la course effrénée des
hommes vers le pouvoir, et I'absence d'instance politique mondiale.
Concernant l'appétit de l'homme pour le pouvoir, je dirai simplement que
l'homme n'existe pas sans la nature, et que le pouvoir n'a aucun sens
sans I'homme. Pas de pouvoir sans homme, pas d'homme sans nature, donc pas de pouvoir sans nature.
La deuxième difficulté est liée au fait que ce problème est à l'échelle
de la planète, alors que nos instances politiques sont locales. Nous
n'avons pas encore inventé la politique globale en réponse à ce grand
défi pour notre survie.
lnventons-la d'urgence !