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Les histoires secrètes des 33

Publié le 27 mars 2011 par Anthony Quindroit @chilietcarnets
Les histoires secrètes des 33

Le sauvetage des mineurs est désormais en librairie

Il paraissait évident qu’après le déferlement médiatique autour du sauvetage des 33 mineurs de San José (32 Chiliens et un Bolivien) le soufflé ne retomberait pas si vite. Les victimes n’étaient pas encore sorties de leur enfer sous-terrain que déjà le tout Hollywood se disputait les droits d’une épopée humaine qu’aucun scénariste n’avait imaginé. Epopée riche de fantasmes, de secrets, de doutes, propice à laisser l’imagination divaguer tant le silence des 33 sur leurs premiers jours d’enfermement coupés du monde a alimenté les interrogations plus ou moins saines. Si les projets de films sont en stand-by, deux livres viennent de sortir en France sur ce drame qui a passionné le monde.

Les histoires secrètes des 33

Jonathan Franklin (photo Morten Andersen avec l'autorisation des éditions Robert Laffont)

Evoquons d’abord celui de Jonathan Franklin, Enterrés vivants. Ce journaliste américain a pu s’immiscer au cœur de l’impressionnant dispositif de sauvetage mis en place et approcher les intervenants clés. Les politiques, les sauveteurs et même les mineurs. Du moins, certains mineurs. L’auteur a amassé une somme de témoignages et lève le voile sur les premiers jours de l’incarcération, quand les mineurs encore coupés du monde, à 700 mètres de profondeur, organisaient leur survie sans savoir si leur sauvetage était en cours. Des anecdotes, le livre en dévoile à la pelle. L’auteur y aborde les tensions dans le groupe, les ratés dans le dispositif de sauvetage, les drogues qui auraient été envoyées par les familles, les caprices des mineurs, la politisation de l’affaire, les déceptions, mais aussi les moments de courage et d’abnégation qui ont permis d’écrire un happy end suivi par des centaines de millions de téléspectateurs de par le monde.
Le livre est « sobrement » sous-titré La véritable histoire des 33 mineurs chiliens. C’est peut-être là où le bât blesse. Depuis la parution, les mineurs ont dénoncé certaines libertés prises avec leur histoire. Un exemple ? Jonathan Franklin aborde l’instinct de survie de mineros et assure qu’ils ont pensé au cannibalisme. Les protagonistes démentent, et l’auteur, dans les journaux chiliens, a dû s’expliquer sur ses écrits. Le gouvernement, et certains mineurs, ont aussi démenti formellement la mise en scène d’un sauvetage alors que le processus connaissait des ratés. Même s’il est difficile de démêler le vrai de l’à-peu-près, Enterrés vivants propose tout de même une étouffante plongée aux côtés des mineurs et se dévore comme un bon roman. (Pour découvrir un extrait, c’est plus bas…)

Les histoires secrètes des 33

Une autre approche du drame, du côté des familles

Avec 70 jours dans l’enfer de la mine, Cristina L’Homme s’est intéressée à ce qui se passait 700 mètres au dessus des mineurs, dans le camp de l’espoir où les proches étaient réunis. Cernées par les journalistes du monde entier, suspendues aux communications des politiques, les familles ont aussi connu les doutes, les espoirs, les désillusions avant un sauvetage épique. Grâce à l’Eglise, elle a pu entrer en contact avec trois femmes touchées de plein fouet par ce drame et les suivre durant les 70 jours. Le lecteur croise les vies de la jeune Maritza Segovia, fille de Victor Segovia, Verónica Quispe, épouse du mineur bolivien Carlos Mamani, et Mónica Araya, femme de Florencio Avalos. « J’ai compilé les sentiments bruts qu’elles me donnaient au quotidien. Je signe ce livre, mais c’est avant tout le leur », confie Cristina L’Homme à Chili et carnets.

Les histoires secrètes des 33

Cristina L'Homme (photo éditions Prisma)

Jour après jour, elle entre dans l’intimité de ces femmes de mineurs aux caractères forts : « Ce livre aurait pu se faire sans le drame. Il montre un autre visage du Chili. C’est ce qui m’intéressait. Elles ne parlent pas que d’elles, elles racontent le sauvetage, le camp de l’espoir… Elles parlent de ces gens qui viennent profiter du drame pour manger gratuitement, voler des matelas… Ca montre aussi l’état d’un pays ! »
En se plaçant à leurs côtés, Cristina L’homme dévoile aussi le dessous des cartes, la mise en scène d’un drame devenu événement planétaire : « Les choses ne sont jamais noires ou blanches. En les lisant, on sent que le président Piñera va trop loin. Mais, d’un autre côté, sans l’implication du gouvernement, jamais le sauvetage n’aurait eu lieu. Les propriétaires de la mine auraient laissé tomber ! »
Validé par les trois protagonistes, 70 jours… se termine quand sort Victor Segovia, le quinzième mineur à être extrait des entrailles de la terre. Mais aujourd’hui, qu’en est-il ? « Rien n’a changé. Les normes de sécurité sont les mêmes, il y a eu beaucoup de bla-bla à la chilienne », regrette la journaliste. Quid des trois intervenantes, ses « trois », comme elle les appelle. « Je me suis beaucoup attachée à elles, l’une m’a fait un beau compliment en me disant que c’était passionnant alors que ce livre c’est le leur. Une autre a « pété un câble » et demande de l’argent pour chaque interview. » Par politesse, elle préfère taire son nom.
Parfois répétitif mais souvent émouvant, cette oeuvre profondément humaine dévoile une autre facette beaucoup moins médiatisée – et jamais d’aussi près – d’un drame vu sous toutes les coutures.
Enterrés vivants, la véritable histoire des 33 mineurs chiliens, par Jonathan Franklin, aux éditions Robert Laffont, 20 €.
70 jours dans l’enfer de la mine, par Cristina L’Homme, aux éditions Prisma, 18 €.

Un extrait d’Enterrés vivants de Jonathan Franklin (avec l’aimable autorisation des éditions Robert Laffont) :

14e jour, jeudi 19 août
Chaque zone de couchage développe ses propres règles de vie collective. En cas de crise, cependant, les différences s’effacent devant l’instinct de survie. Le quatorzième jour, les mineurs sont désormais certains que le forage se dirige vers eux, mais arrivera-t-il à temps ? Les hommes élaborent un plan d’action compliqué : quand le forage percera le toit, ils se disperseront tous aux quatre coins du tunnel. Chaque homme portera avec lui une note écrite à la main qu’ils attacheront à la machine de forage. Ils seront armés de bombes de peinture orange – généralement utilisées par les géomètres – pour peindre la foreuse afin d’alerter l’équipe en surface que quelque part, au fond de la mine, piégé comme un animal en cage, un homme au moins est vivant. Le matériel lourd est prêt. Les hommes préparés à utiliser des machines de perforation connues sous le nom de « Jumbo » afin d’élargir le tunnel et atteindre le puits du forage, si cela s’avérait nécessaire. Un petit bulldozer, appelé le « scoop », est prêt lui aussi pour dégager les éboulis.
Alors que le forage s’approche, l’enthousiasme envahit la mine. Les hommes adorent écouter la foreuse. Pendant vingt-quatre heures, ils discutent avec animations de leurs plans pour faire savoir aux sauveteurs qu’ils sont en vie. Ils entendent les coups de boutoir de la foreuse, juste au-dessus d’eux. Le salut est arrivé.
Puis le groupe est envahit par un terrible doute. Le forage continue, mais il est maintenant en dessous d’eux. La foreuse a percé un puits de 700 mètres en plein dans leur direction et, au dernier moment, les a ratés. Ils courent vers un niveau plus bas pour y vivre à nouveau cette anticipation puis se désespoir. Vingt-cinq mètres plus bas qu’eux, le forage s’arrête. En surface et au fond de la mine, le silence est assourdissant. Ils paniquent, Edison Peña crie qu’ils vont tous mourir. José Henríquez demande à ses camarades de faire confiance à Dieu.
« Les gars ont commencé à perdre la notion du temps, et le désespoir s’est installé, raconte Samuel Ávalos. Ils n’ont plus rien fait d’autre que dormir, des gars comme Claudio Yáñez, par exemple. J’ai commencé à réaliser que 70% des hommes étaient victimes de cette crise de désespoir, et je me suis caché pour qu’ils ne me voient pas pleurer. Le cercle se refermait. Le cercle de la mort. Cela m’a détruit de voir Richard Villarroel alors que sa femme était enceinte. Osmán Araya qui a de jeunes enfants. J’ai pensé que j’avais bien un enfant très jeune, mais que les autres étaient plus âgés. Je ne reverrais sans doute plus jamais la surface, mais j’étais plus préoccupé encore pour mes compagnons. Ils avaient des bébés, des femmes enceintes. Ça m’a détruit. Voir mes compañeros pleurer, et pleurer encore. Putain, que c’était dur ! N’importe qui craquerait en voyant ça. N’importe qui… »
« Le pire moment fut quand nous sommes descendus au plus bas de la mine, quand on pensait que la foreuse était partie, raconte Alex Vega. Plusieurs types ont alors décidé de mourir. Ils ont commencé à écrire des lettres d’adieu. Victor Zamora le premier, puis Victor Segovia et Mario Sepúlveda. »
« On était dans la salle d’attente de la mort. J’avais envie de mourir et d’être tranquille. Je savais que les lumières allaient s’éteindre, et que ce serait une fin digne, raconte Mario Sepúlveda. J’ai rassemblé mon casque, mes affaires, j’ai roulé ma ceinture et posé mes bottes l’une à côté de l’autre. Je voulais mourir en mineur. S’ils me trouvaient, ils verraient mort dignement, la tête haute. »
Pour Claudio Yáñez, l’idée d’une mort imminente n’est pas aussi sereine. Depuis plusieurs jours, ses compagnons suggérèrent qu’il est temps de prendre des mesures drastiques, temps de manger Yáñez, le petit nouveau un peu maigrichon. Il n’était à la mine que depuis trois jours quand elle s’est effondrée. La plupart du temps, Yáñez se dit que c’est une blague, mais ça ne suffit pas à le rassurer. Il juge probable que le premier mort serait cuit lentement pour nourrir les vivants.
Daniel Sanderson, un jeune mineur de San José qui ne travaille pas dans l’équipe devenue prisonnière, sera le confident de plusieurs des 33 qui lui écriront des lettres décrivant leur famine. « Tous pensaient qu’ils allaient se manger les uns les autres », dira-t-il.


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