Plus récemment, il demandait "à l'Otan et aux Etats-Unis de cesser leurs opérations dans [son] pays" après qu'un cousin de son père a été tué au cours d'un raid nocturne par les forces internationales. Toutes les opérations? Non, cette demande a vite été précisée par un porte-parole de la présidence, car il fallait entendre dans les propos du président afghan "opérations qui tuent des civils" et non retrait de la coalition.
Sans même débattre du bien fondé de l'intervention, mais en appréhendant la manière dont les gouvernements communiquent sur celle-ci, il semble assez facile pour un adversaire de faire naître une impression de culpabilité et ébranler l'appui des pays envers leurs troupes.
Le problème rencontré pour les états-majors occidentaux est de taille, il s'agit de savoir faire bon usage du comparatif de combattants et de civils tués.
Depuis 2001, l'Opération Enduring Freedom a causé près de 25 000 morts chez les insurgés alors que moins de 2 500 soldats de la coalition ont été tués. Quel usage est fait de ce ratio? Aucun. En dehors de ne pas vouloir envoyer des cadavres au visage de leur population, les occidentaux sont confrontés au problème de la confirmation de ces chiffres. En effet, ces estimations sont établies par les faits sur le terrain (corps récupérés) et par l'observation dans les villages (nombre de tombes récentes), mais sont rapidement mises en doute par les talibans qui relèvent quasi-systématiquement les corps de leurs combattants tués et cachent les sépultures. En revanche, chaque pays intervenant en Afghanistan tient une comptabilité précise de ses fils tombés au champ d'honneur, et communique largement sur ces derniers pour ne pas être taxé d'opacité. Chaque annonce est alors l'occasion de remettre en cause la présence des troupes sur le territoire afghan.
En ce qui concerne les civils tués en marge du conflit, le sentiment de culpabilité distillé et distribué par les talibans – voire la présidence afghane – s'installe facilement au sein de l'OTAN. L'Etat-major de la coalition est ainsi mis en situation de justification permanente face à des faits réels ou détournés. Pire encore, ce même Etat-major ne cherche pas à reprendre l'initiative au cours de cette bataille informationnelle. En 2010, 75% des 2 777 morts civiles liées aux actions armées étaient imputables aux talibans. Ces chiffres recueillis et confirmés par l'ONU n'ont jamais autant d'écho que les 16% imputables aux forces pro-gouvernementales, c'est-à-dire OTAN et Armée Nationale Afghane. Le rapport des Nations Unies n'a été exploité que pour spécifier que l'année 2010 a été la plus meurtrière du conflit et que la coalition est responsable du nombre croissant d'insurgés par les dommages collatéraux qu'elle occasionne.
Cette gestion de l'information a des effets très négatifs sur les opinions publiques occidentales, comme sur le rapport de force moral en Afghanistan.
Quand le président afghan utilise les erreurs occidentales, chacun sait que c'est pour affirmer sa légitimité mise à mal lors des élections tronquées de novembre 2009. Installé par les américains pour être le garant de l'unité afghane et leur relais, demandeur de l'intervention internationale pour mettre fin à l'insurrection en son pays, s'il peut se permettre de jouer la carte sensible des dommages collatéraux c'est qu'il n'y aura aucune réponse ferme en retour, mais simplement une gêne affichée.
Un gouvernement qui décide d'envoyer des troupes loin de ses terres doit s'assurer que sa population adhère, en majorité, à cette expédition, et il doit régulièrement montrer des signes de victoires au risque de voir une démobilisation et une opposition forte se mettre en place. La résilience, cette faculté d'accepter et de dépasser un événement négatif, n'a été ni exercée ni entretenue en France par cette absence de communication positive. Personne n'a donc pu mesurer le "bénéfice" des opérations et, au delà, "accepter" les pertes françaises. Le 22 février dernier, un sondage IFOP pour l'Humanité précisait que 72% des Français interrogés étaient opposés à l'intervention de la coalition en Afghanistan.
Si les graves catastrophes naturelles et les soulèvements arabes n'occupaient les unes, il est certain que la "demande" de KARZAÏ tout comme le mécontentement français aurait été relayé et utilisé comme armes sur le champ de bataille informationnel. Il est incompréhensible que sur ce terrain, les talibans remportent la partie par forfait.
Benjamin Fafart