Valabregue Antoine — 27/03/2011
Depuis des années que je parle avec des lycéens, je suis très impressionné par leur capacité de survivre dans un milieu qui est de moins en moins capable de répondre à leurs attentes. Ils survivent, car ils finissent par avoir grosso modo un BAC et ensuite cela se gâte sérieusement.
Tout cela au prix d’ équilibre psychique très fragile, de problèmes de motivation, d’écoute, de désirs mal formulés. Et ils n’ont guère d’interlocuteurs en face d’eux.
Je commencerai par brosser un rapide portrait de quelques figures d’une classe de seconde d’un lycée « moyen » de Paris, j'ai modifié certaines professions :
- T, 5000 amis sur Facebook ( !), physiquement en pleine forme, ayant l’envie de faire plaisir à sa mère pour avoir son bac, ayant la certitude de pouvoir reprendre l’étude de celle-ci, va passer son anniversaire de dix-huit ans tout seul.
- S, redoublant par non-présence l’année précédente, capable, se plaint d’insomnies, de vivre dans 20 m2 avec son père et sa mère, était au bord de « péter un cable » face à un prof qui le tançait d’une façon totalement disproportionnée (prof au demeurant sourd à ce genre de cas). Ne vient pas en cours de façon assidue.
- M, « belle », jeune, bonne élève, voulant faire médecine, ne se sent pas motivée et s’ennuie.
- A, intelligent, n’arrive pas à arrêter les pétards et ne parvient pas à se lever le matin (cherche désespérément un cours de Qi Qong, car il a entendu que cela pourrait l’aider à sortir de l’addiction à l’herbe).
- M, très intelligente, père chirurgien, a perdu sa mère, ne vient plus en classe, malgré une commission de vie disciplinaire à la quelle sœur, élève de Louis Legrand, avait assistée.
- A, délégué au début de l’année, s’est fait exclure du lycée pour une série de « broutilles » mal traitées
- S, met cinq minutes à sortir son cahier et quand on lui en fait la remarque, répond fortement « eh ! qu’est ce que vous me cherchez ( !) , je ne suis pas le seul »
- M, assume tout ce qu’il dit, et écoute une fois sur deux parce que submergé par des « problèmes familiaux », dus en partie à l’abandon de sa mère du domicile conjugal.
- S, plutôt courageuse, est présente un jour sur deux à cause de problèmes médicaux, s’estime pas motivée
- P, fait la moue en parlant de sa non motivation aux études et de sa déception face à ses résultats.
- J, sourire craquant, de milieu aisé, ayant aussi perdu sa mère, n’écoute pratiquement pas une phrase sur deux pendant le cours de maths.
- C, souriante 8/20 en maths, n’arrête pas de répéter : « de toutes façons, je suis nulle depuis la sixième », tout le monde me l’a dit, et je ne comprends rien.
- L, d’origine coréenne, prolonge ses vacances de 15 jours dans son pays natal.
- D, k et s d’origines chinoise restent pour le nouvel an chinois chez eux.
- 6 élèves font le ramadan et ne viennent pas pour la fête du mouton, sans prévenir.
- Je ne me souviens plus du nombre d’élèves d’origine juive qui ont manqué les jours de fête religieuse.
- Je n’ai apparemment pas de praticiens du Bouti, mais il faudrait vérifier.
- S, bon élève au demeurant, a perdu son cahier et ne me le présente plus depuis 3 mois.
- Y à qui j’ai dit maintes fois, pour faire une ES , il faut avoir au moins 7 ; se plaint que c’est trop difficile d’avoir la moyenne, il a 8,5/20.
- …
Vu cette situation, l’« apprendre à apprendre » de Meirieu, me paraît totalement hors sujet.
Avant toute chose il y a des réglages au niveau de la motivation et du sens à opérer.
C’est dans cet esprit que j’ai mis au point des outils de formation des éducateurs, des auto- questions pour élèves, afin de traiter ce genre de situations.
Ainsi, devant chaque situation formulée par quelqu’un, je propose qu’il identifie où cela coince le plus. Mettons que la préoccupation soit : « je ne suis pas motivé(e) !
Est-ce un problème de confiance pour
- ne pas choisir ce qui risquerait de me plaire, de me convenir (pour continuer à me plaindre ?).
- ne pas chercher un cadre adéquat à mes motivations (lieu de travail, amis, famille).
- attendre que ce que j’ai commencé arrive à prendre forme ?
Est-ce un problème de clairvoyance pour
- accepter que ce qui vient tout juste de me motiver soit encore fragile et nécessite une attention toute particulière.
- faire ce qui est à faire en dialoguant avec les autres.
- ne pas me réjouir à chaque fois que j’entrevois un succès.
Est-ce une difficulté à évoluer en
- m’interrogeant sur les limites de mes actions ou choix passés.
- prenant des risques pour changer d’attitude.
- dégageant de nouveaux désirs.
Est-ce une difficulté à accepter les incertitudes en
- n’appliquant guère d’autodiscipline.
- faisant l’impasse sur les nœuds essentiels.
- considérant que tout est absurde.
Puis, une fois que les zones de faiblesses sont repérées, accepter de regarder ce qui est en son pouvoir pour faire évoluer les choses sans se réfugier derrière une situation défavorable.
Et se poser juste une question : quelle initiative précise, que je m’engage à prendre, dont je pourrais valider le succès ou la réussite pour que cela évolue un tant soit peu ?
Maintenant, on peut sans doute commencer à aborder la question d’apprendre.
En abordant bien sur : quoi comment et avec qui ?
A suivre : antoine.valabregue@gmail.com