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249 - Un aller improbable à Oran

Publié le 27 mars 2011 par Ahmed Hanifi

En décembre dernier j’ai décidé de prendre quelques jours de vacances. Un bon bol d’air du bled ne me fera que du bien. Une dizaine de jours suffit. Le premier samedi du mois, à quatorze heures quarante, j’ai pris le vol Marseille Oran, prévu pour douze heures trente, dans un airbus affrété par la mystérieuse compagnie aérienne algérienne KawKaw. Une entreprise privée qui a décollé étonnement plus vite que ses appareils, qui a détrôné en médiocrité la célèbre compagnie étatique, AA. Elle a détourné de la société publique de nombreux commandants de bord et des centaines d’agents divers sans que cela n’émeuve qui que ce soit, ni le quidam, ni le politique, ni le général. L’airbus devait prendre les airs à midi-trente donc. J’ai pris un cachet trente minutes avant l’heure d’envol, soit à midi, comme le stipule la notice du médicament contre le mal des transports. A midi quarante on nous a annoncé un retard dont la durée n’a pas été précisée, ignorés le retard, les passagers, la bienséance. « Mercalm » a produit son effet alors que j’étais encore dans la salle d’attente, vissé à un bout de banc. En quelques minutes je me suis assoupi car le médicament contient du diménhydrinate et de la caféine… L’envol a eu lieu à quatorze heures quarante au mépris des passagers silencieux. J’étais complètement éveillé et la trouille s’égayait dans mon ventre mou. Je suis resté immobile dans le siège, agrippé à la ceinture. J’aurais préféré une camisole. Je posai les yeux sur les lignes d’une page d’un journal ordinaire, puis sur celles d’une autre, puis d’une troisième. Je lisais et relisais, m’attachais à traduire le moindre mot obscur, à lui trouver un synonyme, à guetter d’éventuelles fautes de style ou maladresse, à commenter telle ou telle image, à comparer les couleurs, les caractères, parfois même à chatouiller mes narines avec cette odeur d’encre des rotatives, encore prégnante… J’ai tout lu, tout vu, tout senti. Rien n’a pu m’extraire du canard, pas même la sueur qui perlait sur le nez, sur les yeux, pas même l’hôtesse qui insistait, raseuse « désirez-vous du thé ? » Je ne prêtais qu’une attention détachée aux unaccompagned minor qui braillaient, aux allées et venues mouvementées vers les toilettes, aux commentaires déplacés ou non des uns et des autres. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir à quoi que ce soit d’autre ou si peu. Evidemment de temps à autre une rapide et discrète prière, la Ilaha illa Allah,  me rappelait à la superficialité de mon être, je suais alors de plus belle. Je déteste prendre l’avion, vous le savez tous. Lors de l’atterrissage mes mains sont demeurées agrippées, littéralement accrochées aux accoudoirs du siège, humide par la force des choses, jusqu’à ce que les roues de l’engin crissent sur le tarmac salvateur. Peu après je respirai une bassine d’air vicié de la Sebkha, qui s’est engouffré dans la cabine du zinc, aussitôt qu’on ouvrit ses portes convexes.
La Sebkha est le nom donné à l’immense étendue d’eau salée et pourrie qui jouxte la ville par son sud-ouest. Vous le saviez ? excusez-moi. Il ne serait pas juste de dire que les formalités douanières furent exécrables. De l’aéroport un taxi m’a emmené jusqu’à la maison, à Arzew. C’est une belle ville côtière Arzew, elle se trouve à une quarantaine de kilomètres de là. Vous le savez aussi peut-être ? Je suis rentré directement chez mes hôtes qui s’impatientaient.
Lamia a passé dix jours là-bas dont elle n’oubliera pas les aléas de sitôt. Cette aventure en effet, est arrivée à Lamia, oui Lamia la plus populaire des écrivains maghrébins et la plus respectée pour ses descriptions sans concessions de la société archaïque, intolérante à l’égard des femmes. Cette histoire elle ne me l’a pas contée lors de son passage express au Salon du livre de Paris en mars dernier, non, pas du tout. Je l’ai entièrement inventée, cette histoire. Lamia est réputée détester les avions. Elle n’en a jamais pris et n’en prendra jamais à ses dires. Quant à moi, cher lecteur, je vous ai montré qu’il m’était possible aussi d’inventer des textes improbables. Lamia elle, me pardonnera, puisqu’elle n’existe pas.
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