(Pilote US) The Borgias : jeux de pouvoir impitoyables dans l'Italie de la fin du XVe siècle

Publié le 27 mars 2011 par Myteleisrich @myteleisrich

Au vu des programmes qui s'annoncent dans les prochaines semaines, je devine que mon mois d'avril aura un parfum historique très prononcé. C'est tout d'abord Showtime qui va ouvrir le bal, avec une fiction destinée à succéder aux Tudors, à partir d'un sujet qui promet tout autant, si ce n'est plus, que le règne de Henri VIII : les Borgias. Ce choix d'une famille restée dans la mémoire collective, non seulement comme un symbole de décadence, mais aussi comme un modèle dans l'art de la quête du pouvoir, telle que le décrira si méticuleusement Machiavel, quelques années plus tard, dans son célèbre Prince, présente a priori tous les ingrédients nécessaires pour offrir un cocktail détonnant mêlant pouvoir, sexe et politique, avec en toile de fond les luxueuses et fatales coulisses du Saint-Siège.

Ayant toujours eu un rapport compliqué et beaucoup de réticences face aux Tudors, c'est avec une certaine réserve que j'ai lancé ce premier épisode, même si le sujet m'intéressait a priori beaucoup. Et c'est finalement avec plaisir que je peux dire que le pilote des Borgias remplit a priori toutes les promesses que l'imagination féconde (et romanesque) du téléspectateur pouvait avoir envisagé. D'une longueur imposante de plus d'1h30, il pose le cadre sanglant et ambitieux qui va être celui de la série, tout en introduisant efficacement la situation comme les protagonistes. La diffusion de The Borgias commencera le 3 avril prochain sur Showtime. Je serai au rendez-vous.

L'histoire s'ouvre à Rome, à la toute fin du Moyen-Âge et à l'aube de la Renaissance, en 1492. Les premières minutes nous permettent d'assister au dernier soupir du pape Innocent VIII. C'est l'opportunité qu'a patiemment attendu toute sa vie le très ambitieux cardinal Rodrigo Borgia, lui-même neveu du pape Callixte III. Le conclave, qui s'organise sous nos yeux, réuni afin d'élire son successeur, va s'avérer aussi disputé qu'opaque. En effet, il va être le cadre des plus intenses tractations et autres manoeuvres corruptives pour permettre à Rodrigo d'obtenir les faveurs de la majorité des votants. A l'extérieur, son fils Cesare le seconde habilement afin d'assurer la réussite de ses projets. Ses ambitions se verront récompensées : Rodrigo deviendra pape, prenant le nom d'Alexandre VI.

Cependant cette consécration est loin d'être une fin en soi. En effet, si les Borgia, une famille originaire d'Espagne, avaient déjà leur part d'ennemis dans l'Italie de cette fin de XVe siècle, l'accession au siège de saint Pierre ne va faire qu'attiser les tensions et renforcer la résolution de leurs ennemis. Se maintenir en place promet d'être aussi difficile et compromettant que l'ascension a pu l'être, en témoignent les complots qui, dès ce premier épisode, rythment déjà les coulisses du Saint-Siège. Alexandre VI devra plus que jamais s'appuyer sur la ruse, mais aussi sur ses enfants, au premier rang desquels, Cesare, qu'il va rapidement nommer cardinal.

C'est tout d'abord dans le registre d'une fiction politique historique que The Borgias s'impose. Ce pilote se consacre  pleinement à la mise en scène de jeux de pouvoir mortels, sur fond de confrontation fatale entre les ambitions des grandes familles romaines influentes de l'époque. Tous les moyens sont bons pour servir leurs projets, ne s'arrêtant pas seulement à une corruption qui apparaît généralisée. De façon impitoyable, les complots se font et se défont, tandis qu'avec un arrière-goût empoisonné, les trahisons se succèdent, et les morts aussi. Si l'histoire se concentre logiquement sur les manoeuvres de Rodrigo et de son fils, ils sont loin d'être les seuls à agir en coulisses. 

Conduit de façon rythmée, l'épisode nous propose donc une partie d'échec létale très accrocheuse, où la ruse est élevée au rang d'art, où la pitié et la morale ne sauraient intervenir, tout étant sacrifiable pour atteindre et assurer le pouvoir. On parlerait anachroniquement sans nul doute de machiavélisme, si Cesare Borgia n'avait pas justement inspiré le Prince de Machiavel publié quelques années plus tard. De même, à observer ces clans familiaux ainsi s'affairer et s'affronter, entièrement dédiés à cette lutte pour le pouvoir, le sous-titre de l'affiche de la série, "the original crime family", s'avère être bel et bien une promesse tenue. Et quand le cardinal Della Revore découvre son lit ensanglanté par un cadavre - même si c'est celui d'un être humain - la réminescence d'une autre scène cinématographique célèbre du genre vient naturellement : après tout, ce n'est pas non plus un hasard si Mario Puzzo a pu consacrer tout un roman à romancer le destin de cette famille. En résumé, The Borgias dispose de tous les ingrédients pour mettre en scène des luttes de pouvoir aussi animées que complexes. 

Outre ses enjeux politiques, The Borgias exerce également un attrait plus subversif : le nom de cette famille a conservé à travers les siècles un parfum sulfureux sur lequel le pilote capitalise pleinement. Népotiste assumé, simoniaque rompu à tous les trafics, nicolaïste notoire, Alexandre VI personnifie et symbolise les dérives internes de l'Eglise du XVe et des débuts du XVIe siècle. L'épisode ne nous épargne aucun détail de cette décadence aux multiples facettes : des dessous de l'élection pontificale de 1492, avec la distribution de bénéfices ecclésiastiques et le pillage d'églises vidées de leurs objets de valeur, jusqu'aux questions de moeurs, face à un Souverain Pontife qui écarte de l'oeil du public la concubine qui lui a donné quatre enfants au motif hypocrite du maintien des apparences, tout en installant sa nouvelle maîtresse dans une maison où il peut lui rendre visite en secret.

De plus, ces thèmes se déclinent également à l'intérieur de la dynamique, forcément particulière, d'une famille toute entière consacrée aux ambitions du père. Les rôles y sont déjà distribués. Cesare, en dépit d'un intérêt bien plus porté sur le temporel que le spirituel, se doit d'embrasser une carrière ecclésiastique sur les pas de Rodrigo, tandis que son frère sera celui qui s'investira dans le versant militaire pour consolider leur emprise sur la péninsule. Quant à Lucrezia, le jeu des alliances par mariage lui est ouvert. Il faut noter que c'est jusqu'au sein même de cette famille que les signes de dérive des moeurs sont perceptibles. En effet, l'épisode met ouvertement l'accent sur l'ambivalence des rapports, ou plutôt des sentiments éprouvés par Cesare à l'égard d'une soeur qu'il chérit plus que tout et dont il a bien du mal à concevoir la seule idée du mariage.

Au-delà de ces thèmatiques où se mêlent pouvoir et sexe avec en toile de fond une reconstitution historique mettant en avant le luxe romain de cette fin de XVe siècle, la réussite de ce pilote va aussi être de ne jamais déshumaniser les jeux politiques qu'il dépeint. Si, par son sujet, The Borgias ne pouvait être manichéenne, elle va aussi proposer des personnages avec leurs failles et leurs propres ambiguïtés : ce ne sont pas des figures unidimensionnelles qui se réduiraient à leurs seules ambitions. Certes, la plupart des personnages sont moralement condamnables, mais ils sont surtout les dignes participants d'une tragédie du pouvoir shakespearienne, permettant à la série d'investir une dimension humaine qui retient également l'attention.

Ainsi, le pilote installe et et réserve une part d'ambivalence à tous ces protagonistes qui ne reculent devant rien pour parvenir à leurs fins. Sans doute pour bien introduire son cadre, il se concentre surtout sur Rodrigo (Alexandre VI) et Cesare. Pour le premier, ce sont ses positions teintées d'hypocrisie qui renforcent ses paradoxes, le vernis se craquellant rapidement derrière les déclarations d'intention initiales annonçant sa volonté de remplir dignement la fonction à laquelle il a été élu. Pour Cesare, les conflits internes sont plus personnels. Instrument frustré de son père, prêt à tout pour protéger sa famille, il ne rêve que de se voir délier de ses voeux ecclésiastiques pesant qu'il n'a prêté qu'avec réticence, mais il va finalement se retrouver nommé cardinal par le biais d'une énième manoeuvre politique de son père pour s'assurer d'une assise majoritaire auprès de ces dignitaires.

Au-delà de son efficacité sur le fond, c'est aussi sur la forme que The Borgias a su mettre tous les atouts de son côté. La série séduit par l'esthétique proposé dans ce pilote qui exploite pleinement le faste et le luxe de son décor romain. Il se dégage de ces superbes images comme un parfum de fin de XVe siècle absolument saisissant. La réalisation est soignée. Une attention toute particulière a été portée aux costumes, comme aux lieux dans lesquels se déroulent les scènes. Les effets de caméra, comme les teintes choisies, sont un vrai plaisir pour les yeux du téléspectateur.

Pour accompagner cette forme très convaincante, la série dispose également d'une bande-son en parfaite adéquation avec son ambiance, reprise réagencée de musique aux faux accents religieux. Elle n'est pas trop envahissante, mais contribue à donner son atmosphère de cette fiction, rythmant les intrigues et pointant la solennité de certains passages. D'ailleurs, c'est dès le départ, avec son long et magnifique générique, que The Borgias impose son style et ses ambitions sur la forme (cf. la première vidéo en bas de ce billet).

Enfin, pour donner vie aux protagonistes dans cette fresque, The Borgias bénéficie d'un casting international solide qui s'avère être à la hauteur des attentes. Jeremy Irons s'impose d'emblée comme la figure centrale ambitieuse, non dénuée d'ambiguïté dans sa façon d'alterner autoritarisme et ruse pour parvenir à ses fins. Pour le seconder dans ses basses oeuvres au sein de l'Eglise, son fils Cesare est interprété efficacement par François Arnaud (Yamaska). David Oakes (Les Piliers de la Terre), qui s'épanouit dans le domaine militaire, Holliday Grainger (Demons, Above suspicion, Any human heart) en troublante Lucrezia et Aidan Alexander, jouent ses autres enfants, tandis que Joanne Whalley incarne leur mère.

Autour de la famille Borgia gravite des alliés d'un jour et des ennemis encore plus déterminés. On retrouve dans la galerie d'acteurs qui les interprètent : Derek Jacobi (Mist : Sheepdog Tales), Colm Feore (24, The Listener), Ruta Gedmintas (Lip Service), Lotte Verbeek, Elyes Gabel, Sean Harris (Meadowlands), Simon McBurney (Rev.), Vernon Dobtcheff, Peter Sullivan (The Bill, The Passion) ou encore Bosco Hogan (The Tudors).

 Un aperçu des décors...

Bilan : Superbe sur la forme, solide sur le fond, The Borgias démarre sur un pilote convaincant et abouti qui correspond à l'image romanesque préconcue que l'on pouvait avoir d'une fiction centrée sur cette famille marquante des XVe et XVIe siècles italiens. Grandeur et décadence, sexe et politique, religion et corruption, seront au rendez-vous de cette série historique qui nous plonge dans les coulisses du Saint-Siège. Au vu de cette introduction, elle dispose a priori de tous les ingrédients pour s'imposer comme un rendez-vous hebdomadaire plaisant. A suivre !


NOTE : 8/10


Le générique :

La bande-annonce de la série :