Une semaine après l'intervention française et les premiers raids occidentaux en Libye, quel bilan peut-on dresser ? La semaine dernière, le président français semblait le grand gagnant politique de cette opération. Huit jours plus tard, rien n'est moins sûr. Cette affaire libyenne donne la nausée.
1. Samedi 19 mars, les premiers raids français ont stoppé la progression de l'armée Kadhafi à Bengahzi. Il s'en est fallu de peu. Nicolas Sarkozy a tardé à changer de cap. Mais il fut quand même le premier. Les rebelles de Benghazi lui doivent la vie sauve. Passés cette brillante victoire, on s'interroge sur la suite. Les forces occidentales attaquent l'armée libyenne. Cette dernière est mieux équipée que les rebelles. La coalition franco-britannique et américaine fait-elle la guerre au service des révolutionnaires ? Nicolas Sarkozy s'en défend. Il joue avec les mots : « toute la résolution et rien que la résolution » a-t-il rappelé vendredi. La résolution prévoyait-elle d'engager de prendre partie ? Jeudi 24 mars, un Rafale français a détruit un avion libyen. C'est bon pour la pub du Rafale. On ne sait pas si l'aéronef kadhafien était un appareil français. La situation eut été cocasse. Mais au moins, cela ressemble au cadre de l'intervention onusienne. Mais Vendredi 25, d'autres raids ont détruit des unités blindées de Mouammar Kadhafi pour permettre aux rebelles de prendre le contrôle d'Ajdabiah, à l'Est du pays. Et le porte-parole des rebelles de Benghazi, Moustapha Gheriania, a confirmé : « Les frappes aériennes de la nuit dernière vont fragiliser les forces de Kadhafi et plus que tout leur moral. Nous nous sentons en sécurité sous leur protection.» La France est en guerre, ... sans que ces dirigeants le reconnaissent.
2. L'Amérique est restée plus prudente. Barack Obama, plus actif sur les révolutions tunisiennes et surtout égyptiennes, avait changé d'avis à la dernière minute, juste à temps pour emporter un vote positif au Conseil de Sécurité en faveur d'une intervention occidentale en Libye. Samedi 19 mars, il dépêcha sa Secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, pour le fameux sommet de Paris. L'Amérique a joué sa partition, mais Barack Obama veut rapidement sortir du terrain libyen. Il était prêt à sauver Benghazi d'un massacre annoncé. Mais il souhaite de quitter ce bourbier naissant au plus vite. Pas question de devenir partie prenante d'une guerre civile.
3. La France n'a pas réussi à convaincre les Etats arabes d'intervenir en Libye. Pour cette première semaine, la coalition est restée occidentale. Tout juste pouvait-on compter le Qatar (avec deux chasseurs et deux avions de transport de troupes) et les Emirats arabes unis (avec six F-16 et six Mirage). Sarkozy ressemblait, en miniature, au George W. Bush de 2003 et sa coalition de pacotille. Vendredi, l'Union africaine a à nouveau réclamé un cessez-le-feu immédiat, en début d'après-midi. Kadhafi l'a à nuveau accepté, sans le respecter. La coalition occidentale l'a ignoré.
4. La situation militaire en Libye semble dans l'impasse. Les forces de Kadhafi n'ont cessé d'attaquer les révolutionnaires toute la semaine. Et ces derniers n'ont pas les ressources pour riposter. Le risque d'enlisement est réel. Vendredi, un porte-parole de l'OTAN prédisait que les opérations militaires pour faire respecter la zone d'exclusion aérienne dans le ciel libyen « pourraient durer trois mois.» Il fallut le soutien actif et militaire des occidentaux pour parvenir à libérer la voile d'Ajdabiya. Mais le ministre Longuet prévoyait, vendredi, « une mission de longue haleine.»
5. Après quelques jours d'hésitations, l'OTAN va donc assurer le pilotage opérationnel de toute l'intervention occidentale en Libye, sous la direction du général canadien Charles Bouchard. On est à peine surpris. Alain Juppé expliquait voici 15 jours que l'OTAN n'était pas le véhicule approprié pour attaquer un pays arabe. Depuis, on tente, en Sarkofrance, d'établir la subtile distinction entre pilotage politique et soutien opérationnel...
6. A l'étranger, la posture française finit par être raillée. Si l'on tente une comparaison, George W. Bush, en 2003, avait conservé un soutien national et international plus durable en faveur de son intervention irakienne que Nicolas Sarkozy et ses raids en Libye. Si la classe politique française, à l'exception des communistes et du Front national, a approuvé a posteriori l'opération, les doutes s'accumulent à l'étranger. Dès dimanche, la Ligue arabe puis la quasi-totalité des puissances dotes émergentes (Inde, Chine, Russie) ont protesté.
7. L'hypocrisie française était flagrante. Tandis que Nicolas Sarkozy se concentrait sur son ancien allié libyen, son ami syrien Bachar al Assad réprimait des manifestations à Damas depuis le 15 mars dernier. Vendredi, on parlait de dizaines de morts. L'administration américaine avait réagi dès le 16 mars: « Nous sommes préoccupés par les nouvelles faisant état de manifestants blessés et arrêtés en Syrie » avait déclaré le porte-parole du Département d'Etat. Dix jours plus tard, son collège de la Maison Blanche complète : « Nous condamnons fermement les tentatives du gouvernement syrien pour réprimer et intimider les manifestants.» Nicolas Sarkozy, vendredi, fut enfin contraint à l'indignation : il se déclara préoccupé. « Nous disons notre plus grande préoccupation sur la montée de la violence. Chaque dirigeant, et notamment (chaque) dirigeant arabe, doit comprendre que la réaction de la communauté internationale et de l'Europe sera désormais chaque fois la même. Dans toute démocratie il y a des manifestations et il peut y avoir des violences. Mais dans aucune démocratie on ne peut accepter que l'armée soit engagée à tirer à balles réelles sur des manifestants. Cette position ne variera pas quels que soient les pays concernés. » On attend avec impatience une résolution du Conseil de Sécurité.
7. Vendredi 25 mars, les dirigeants européens se sont encore écharpés sur la conduite des opérations militaires en Libye. L'Allemagne refuse de participer aux interventions militaires. A l'inverse de l'Italie berlusconienne, elle n'a pas d'intérêt économique majeur en Libye. C'est un point rarement relevé en Sarkofrance. Bien au contraire. Les ministres insistent pour enfoncer l'ancienne meilleure amie de Nicolas Sarkozy. La Sarkofrance découvre que l'Europe politique n'existe pas. Quelle surprise ! Depuis mai 2007, Nicolas Sarkozy a misé sur les relations bilatérales et les Etats aux détriments de l'union politique. Trop inquiet pour sa propre stature, il n'a jamais placé le collectif européen au-dessus des intérêts particuliers. Et voici qu'il fait semblant de regretter la dispersion actuelle. « C'est une vraie souffrance pour moi qui suis très européen, je me rends compte que l'Angleterre et la France ont la même vision assez responsable et parfois tragique du monde, les autres pays ont perdu l'idée d'être responsables du large environnement » a commenté Gérard Longuet ce vendredi. L'Europe ne sert à rien.
8. Sarkozy a conscience de l'impasse militaire. Ce même vendredi, il tenait une courte conférence de presse, après ses premières réunions du Conseil européen. « Vous savez bien que la défense européenne repose sur un couple, le couple franco-britannique.» Il nous promit une « initiative politique franco-britannique », qui serait détaillée mardi prochain. « Il y a des défections mais c'est tout le problème: dans le système Kadhafi, nous avons bien du mal à savoir ce qui se passe à l'intérieur.» Si Kadhafi s'entête, le cow-boy Sarkozy est prêt à déposer son colt, et à beaucoup de concessions, comme pardonner à Saïf al-Islam, fils de Mouammar Kadhafi. Où se trouve la morale dans de telles déclarations ?
9. Le Monarque Nicolas aimerait que le régime Kadhafi s'effondre. « Naturellement, nous lançons un appel à tous les Libyens de bonne volonté qui auraient compris que M. Kadhafi conduit la Libye à une impasse et à un drame. Et donc tous ceux qui veulent abandonner M. Kadhafi dans ses projets fous et meurtriers peuvent participer à la reconstruction d'une nouvelle Libye démocratique (...) Nous ne jetons aucune exclusive.»
10. Le passé rattrapera-t-il notre Monarque élyséen ? Vendredi, Mediapart révélait la signature d'une formidable concession portuaire signée quelques semaines à peine avant le déclenchement des émeutes par ... le groupe Bolloré. Le même avait récupéré, début mars, la concession du port de Conakry, en Guinée, dont le président fut curieusement reçu en grandes pompes par Nicolas Sarkozy mercredi dernier.