Dans les townships d'Afrique du Sud, les séropositifs ont peur de se faire voler leurs médicaments antirétroviraux par des dealers de drogue, qui affirment les utiliser pour fabriquer une nouvelle substance à la mode, le "whoonga".
Les autorités mettent en doute cette rumeur, alimentée par des trafiquants en mal de marketing, affirmant que le whoonga est un mélange d'héroïne, de mort-aux-rats et d'autres produits chimiques. Mais cela n'a pas dissipé l'anxiété chez ceux qui ont besoin des médicaments pour survivre.
Nonhlanhla, une résidente du township de KwaMashu près de Durban (est), a été victime d'un vol d'antirétroviraux (ARV). "Une bande de jeunes garçons est entrée dans ma maison alors que je dormais", raconte-t-elle. "Ils ont jeté de l’eau salée sur ma figure pour que je ne puisse pas ouvrir les yeux, et ils ont volé mon stock de médicaments."
Pour elle, pas de doute, des vendeurs de drogue sont derrière le coup. "Ils utilisent des gamins pour voler les ARV", assure la quadragénaire. "Dans le township, vous avez même des gamins qui volent les médicaments de leurs parents!"
Dans le pays le plus affecté au monde par le sida, avec 5,7 de ses 48 millions d'habitants séropositifs, le risque de se faire voler ses antirétroviraux résonne effectivement comme une menace de mort.
A quelques encablures, Tami Langa, un ancien dealer qui tente de s'en sortir, contribue à répandre la rumeur. "Ce que nous mettons dans le whoonga? Des ARV, du poison pour rats et d’autres choses", énumère-t-il.
L’antirétroviral que les dealers prétendent utiliser est le stocrin. Ecrasé avec d'autres substances, il se vend de 20 à 35 rands (2 à 3,50 euros) la dose. Mélangé à de la marijuana, il est censé garantir une euphorie instantanée.
Faux et archi-faux, rétorquent les autorités. La rumeur inquiète tellement que le président Jacob Zuma est monté au créneau récemment pour la dénoncer.
"Des experts de l'Université du KwaZulu-Natal ont montré que le whoonga ne contenait pas d'ARV, mais qu'il s'agissait d'héroïne coupée avec de la mort-aux-rats et d'autres produits chimiques", a lancé le chef de l'Etat.
"Répéter ces inepties est dangereux, parce que cela risque d'encourager les drogués à voler des ARV, a-t-il poursuivi. Cela peut mettre en danger les porteurs du VIH."
Certains drogués fument bien de temps à autres ces médicaments, mais le phénomène est marginal, tente de rassurer Anwar Jeewa, directeur du centre de désintoxication Minds Live à Durban. Selon lui, le whoonga est un vieux produit, "de l'héroïne coupée", rebaptisé pour attirer le chaland.
"Parce que l’héroïne est très chère, les dealers ont pensé que les populations des townships seraient plus en mesure de s’offrir la drogue si elle contenait autre chose", explique-t-il.
Ils l'ont mélangée avec plusieurs substances pour augmenter son volume avant la vente --mais rarement avec des ARV-- et l'ont rebaptisée whoonga dans une sorte de campagne marketing, assure-t-il.
"Les gens avaient effectivement commencé par fumer des ARV, mais quand le whoonga est arrivé sur le marché, il a pris le dessus", dit-il. "Aujourd'hui, il y a un peu d'abus d'ARV, mais c'est beaucoup moins important que l'utilisation d'héroïne."
Quelle que soient la recette, le whoonga est une drogue sale, déplore Santosh Basdeo, pharmacien à la clinique de KwaMashu.
"N’importe quel ingrédient peut s’y retrouver, parce que le but pour les dealers est de garder le prix de revient aussi bas que possible", dit-il. "Ce qu’ils veulent, c’est faire des bénéfices."