Tout d’abord, la nomination de manière unilatérale d’une commission ad hoc consolide la tradition de la monarchie exécutive. Ce modus operandi est problématique à plusieurs égards. D’abord, nous sommes loin d’une démarche participative où les représentants des différentes composantes de la société marocaine vont contribuer de manière effective à l’élaboration du texte d’une nouvelle constitution qui va régir la vie de toute une société. Il ne s’agit pas de dénigrer ou de refuser l’expertise, mais il faudrait que chacun joue le rôle qui lui échoit. Dans ce sens, la mission de cette commission aurait dû être limitée à élaborer les montages juridiques appropriés pour traduire les revendications politiques légitimes du peuple. Pour ce faire il aurait été plus opportun de désigner une assemblée constituante élue pour l’élaboration d’une nouvelle constitution émanant de la volonté populaire. Par ailleurs, comment concevoir un nouveau contrat social sans un débat ni dans les deux chambres du Parlement, ni dans la presse, ni entre citoyens, sur les limites de la constitution actuelle ? D’ailleurs, les forces sont intervenues de manière très musclée, entre autres à Casa, Rabat, Chaouen et Tétouan pour éliminer la pression de la rue, et contenir ainsi le débat aux salons feutrés. Cela contraste avec la volonté royale de renforcer les libertés, et s’inscrit dans la continuité d’une logique de monopole, du contrôle du débat et de la définition des orientations.
Ensuite, pour que cette commission puisse mener à bien son projet, il faudrait de l’impartialité et de la liberté dans le ton et dans la réflexion. Sans vouloir faire de procès d’intention, il est difficile de ne pas douter de la partialité des membres de cette commission censés discuter du pouvoir du Roi, alors qu’ils étaient nommés par ses soins. D’ailleurs, il faudrait noter l’absence, au sein de cette commission, de voix connues pour être critiques de l’architecture constitutionnelle actuelle, ce qui fait apparaitre que le processus est déjà biaisé. Comment peut-on aller vers une monarchie moins exécutive alors que le président de la commission clame haut et fort que le Maroc a besoin d’un Roi qui règne et gouverne, sinon le peuple ne comprendrait pas ? Cela laisse penser qu’au mieux on aura un amendement du texte actuel, à défaut d’avoir une refonte structurelle de la constitution.
Enfin, si l’on ne peut que respecter que notre souverain ait promptement réagi, notons quand même que lors du discours du 9 mars dernier, le Roi n’a pas fait référence aux revendications des manifestants du 20 février. Ainsi, faire le point sur la régionalisation a servi de prétexte pour justifier le projet de réforme constitutionnelle. Cela laisse penser que le souverain ne voulait pas assumer qu’il a écouté son peuple, de crainte que cela soit mal perçu, alors qu’au contraire cela ne peut que renforcer sa popularité.
Si le souverain a exprimé son intention de transférer plus de pouvoir exécutif au gouvernement qui sera issu des urnes, pour un meilleur équilibre des pouvoirs, il n’empêche qu’un tel équilibre ne pourrait être réalisé sans traiter la problématique de la conciliation entre sa position politique et ses intérêts économiques. Il ne s’agit pas de renier au souverain le droit de faire des affaires, mais de souligner les conflits d’intérêts, les abus de pouvoir et les trafics d’influence opérés par certains au nom de la monarchie et qui en altère la réputation. En effet, plusieurs affidés au pouvoir et apparatchiks instrumentalisent leurs entrées, avérées ou supposées, pour faciliter leurs affaires. Cela décourage toute initiative privée et crée un sentiment diffus d’injustice et de frustration au sein de la population marocaine. Ainsi, tous ceux qui sont loin des cercles du pouvoir vivent cette injustice qu’il s’agisse d’accéder aux services de base, de trouver un emploi ou de créer sa propre entreprise. Au Maroc, il y a encore des domaines réservés pour des privilégiés et des poches d’opacité importantes perpétuées par un environnement de concentration et de mélange de pouvoirs politique et économique. Malheureusement, dans le discours royal, la nécessité de purger les hauts trafiquants du régime, n’a pas été mise en avant.
Il est inconcevable aujourd’hui que dans une économie de marché, certains profitent de passe-droits et de privilèges au nom de décisions prêtées au palais pour accéder à des marchés publics, se constituer des rentes et instaurer des monopoles. Cela biaise le jeu de concurrence et casse la dynamique entrepreneuriale, deux ingrédients essentiels pour créer des richesses et des emplois, et donc conduire le pays vers la prospérité. Pour une vraie réforme de la constitution marocaine, allant dans le sens de la liberté et de la responsabilité, il est incontournable de mettre fin à ce mariage incestueux entre l’économique et le politique, pour sortir l’économie marocaine de son caractère rentier et patrimonial et l’amener vers la productivité et la compétitivité. Le Roi Mohamed VI a fait un pas vers la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Il pourrait en faire un autre plus grand en séparant le politique et l’économique. La monarchie et le peuple marocains en sortiront certainement tous les deux gagnants.
Article paru originellement sur UnMondeLibre.org.