"Quand on arrive à un certain age, on arrête d’être le protagoniste de ses actions : tout s’est transformé en pures conséquences des actions antérieures. Ce que l’on a semé a poussé subrepticement et bientôt éclate en une sorte de forêt qui nous entoure de tous côtés, et les jours défilent à rien d’autre qu’à ouvrir un passage à coups de machette, à rien d’autre qu’à n’être pas asphyxié par la forêt ; bientôt on découvre que l’idée même d’assurer une sortie est totalement illusoire, parce que la forêt s’étend plus vite que notre travail de débroussaillement et surtout parce que l’idée même de « sortie » est incorrecte : nous ne pouvons sortir parce qu’en même temps nous ne voulons pas sortir, et nous ne voulons pas sortir parce que nous savons qu’il n’y a nulle part où sortir, parce que cette forêt c’est nous même, et qu’une sortie impliquerait une certaine sorte de mort, ou tout simplement la mort. Et s’il y a bien eu une époque où l’on pouvait mourir certaines sortes de mort d’apparence inoffensives, maintenant nous savons que ces morts là étaient les graines que nous semions, celles de cette forêt qu’aujourd’hui nous sommes."
Mario Levrero - El discurso vacio [Caballo de troya, 2007]
Traduction de votre serviteur.
L'immense Mario Levrero [1940-2004], raro entre les raros, n'est toujours pas disponible en français, mais cela va peut-être venir. En attendant, cet extrait du Discours vide, publié pour la première fois en 1996, livre qui est un très beau prélude à son opus magnus, La novela luminosa, dont j'ai déjà parlé longuement, sur le fameux Fric-Frac-Club.