Le visage triomphant
L’ombre se couche sur nos plaines,
S’allonge dans nos puits, annule nos maisons.
La vie est trop nombreuse, la barque trop fragile
Pour traverser seul les images et le temps.
Parfois tu deviens fleuve où rien ne se reflète.
Tu deviens sables étourdis par le vent.
Sous l’étoile impassible : ce passant qui chancelle,
Ce chêne sans oiseau, cet oiseau sans allié.
Tu revois tu revois les prairies qui saignent,
Longue est la misère brèves sont nos cités.
Les amours se dénouent le soleil reste le même,
Tu ne vois nulle part le bourreau terrassé.
La vie est trop nombreuse, la barque trop fragile
Pour traverser seul les images et le temps.
Mais toujours on trouve une voix pour la sienne,
Mais toujours on trouve un regard pour sa peine.
Je chante le visage triomphant.
(Andrée Chedid)
Illustration: Pierre Paul Rubens