Le livre du jour - Si beau, si fragile, de Daniel Mendelsohn

Par Benard

25/03/2011

Quatre ans aprèsLes Disparus, l’américainDaniel Mendelsohnrevient avecSi beau, si fragile(Flammarion). Un recueil critique qui, s’il est à des années lumières de la grande fresque historico-familiale qui lui avait valu le prix Médicis étranger en 2007, n’en est pas moins personnel et intime.

Daniel Mendelsohn le dit lui-même :Si beau, si fragileest« une autobiographie intellectuelle ». Un voyage au cœur de l’imaginaire et de la mémoire du célèbre critique new-yorkais, bien plus qu’un simple florilège de ses meilleurs articles publiés dans les colonnes duNew Yorkerou de laNew York Review of Books

Quentin Tarantino, Jonathan Littell, James Cameron,Virginia Woolf,Truman Capote: de la littérature au cinéma, du théâtre à la pop culture, de coups de cœur en coups de gueule, Daniel Mendelsohn navigue, discute et analyse. Ses chouchous s’appellent Sofia Coppola ou Pedro Almodovar, son maître,Tennessee Williams. Une filiation revendiquée, et affichée dès le titre de ce recueil,Si beau, si fragile, emprunté à la toute première pièce du dramaturge américain,La Ménagerie de verre, où, au détour d’une didascalie, on pouvait lire la phrase suivante :« Quand on regarde un morceau de verre délicatement filé, on pense à deux choses : que c’est beau, et que c’est fragile ».

Mais plus encore que dans le théâtre de Tennessee Williams, c’est dans l’antiquité grecque que Daniel Mendelsohn, docteur en lettres classiques, ancre sa réflexion. Pour lui, Homère, Euripide et Hérodote sont plus que jamais dans l’ère du temps, et les sorties cinéma sont là pour le prouver.Troie,300,Gladiator,Alexandre: les toges et les spartiates fleurissent aux pays des superproductions hollywoodiennes. Quant à Mendelsohn, il s’amuse…de ces« Perses veules ou monstrueux », de ces« athlètes aux abdominaux parfaitement sculptés censés représenter les Grecs », de cette petite sauterie dans le palais de Ménélas qui« fait irrésistiblement penser à une fête dans un restaurant turc »ou de ces Macédoniens au« fort accent irlandais.

Des moqueries qui prêtent à sourire, mais pas seulement. Car, entre deux boutades, Mendelsohn ne rate jamais une occasion de pointer du doigt les défaillances d’une Amérique puritaine, hantée par les démons du 11 septembre et prise au piège dans le bourbier irakien. Une Amérique qui se rue en salles pour aller voirLe Secret de Brokeback Mountain, mais dont la« répugnance à parler explicitement des thèmes et du contenu du film –à savoir l’homosexualité- est flagrante ». Et ce n’est pas tout, car c’est avec la même indignation amère qu’il parle du film d’Oliver Stone,World Trade Center:« Un carton du générique de fin nous apprend que, après avoir sauvé les deux agents de l’administration portuaire, le marine a repris du service et a été envoyé deux fois en Irak […] Mais l’Irak n’avait rien à voir avec les attentats du World Trade Center, et cet acte de vengeance était donc erroné, pour dire le moins – ce que le carton de générique s’abstient de préciser.

Passionné et engagé, tel est donc le Daniel Mendelsohn deSi beau, si fragile. Un Mendelsohn qui, à l’heure où la critique« laisse généralement un g.oût légèrement amer dans la bouche », décrypte, analyse, argumente, revient aux sources, au « kritês » grec et à sa rigueur quasi-judiciaire, comme pour sauver un navire qui aurait déjà pris l’eau.

Emma Aurange

Source : http://www.myboox.fr/actualite/si-beau-si-fragile-lecon-de-critique-par-daniel-mendelsohn-6361.html