Pontarolo © Futuropolis - 2011
Alain Mangeon est un jeune médecin de campagne. En 1990, il rencontre Isabelle dans le cadre d’une consultation. Sa patiente se montre très angoissée du fait que son mari, un militaire de carrière, fasse actuellement partie des troupes enrôlées dans la Guerre du Golfe. Alain lui prescrit alors des calmants. Il la reverra quelques temps plus tard, lors d’une permission de son époux. Visiblement meurtrie, elle parle à demi-mots de violences conjugales. Petit-à-petit, la jeune femme va se rapprocher de son médecin, se confier à lui et devenir sa maîtresse.
Mais c’est sur l’année 1998 que l’album s’ouvre, au moment du procès d’Alain. Les charges retenues contre lui semblent lourdes. Que s’est-il passé durant ces huit années ? Les cinquante pages du récit nous accompagnent dans le compte-à-rebours de cet étau qu’Isabelle ressert sur Alain.
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Avant tout, je voudrais remercier les Éditions Futuropolis pour cette découverte.
Ce récit est l’histoire d’un leurre, celle d’une histoire vraie que Frédéric Pontarolo a adaptée en bande dessinée. Il s’aide d’une narration morcelée (en six chapitres et un épilogue) pour retranscrire les événements. Le fait de ne pas disposer de repères temporels m’a prise au dépourvu. Cela crée implicitement un sentiment d’angoisse qui sera renforcé par les angoisses de la jeune femme. Pendant et après lecture, c’est une forte sensation de malaise qui persiste, celle d’avoir été manipulée et, sur ce point aussi, cela fait écho au trouble que doit ressentir le personnage principal. En cela j’admire le travail d’écriture de Fred Pontarolo, il nous met en miroir avec ses personnages. Pour le reste, nous découvrons les faits de manière chronologique. Tout passe par le filtre du récit du médecin et la connaissance de l’intrigue dans son ensemble ne nous sera dévoilée qu’en toute fin d’album. On trépigne d’impatience à l’idée d’identifier et de comprendre pourquoi on projette des desseins malsains quant au dénouement du récit. Le Serpent d’Hippocrate n’est pas un livre détente pourtant, la force du récit (ou serait-ce un attrait pour le morbide ?) nous prend en otage dès lors que la première page est tournée. On pressent le danger mais on ne sait pas quel(s) protagoniste(s) il va toucher ; j’ai vécu cette découverte en tant que lectrice livrée à la merci de l’auteur, tendant le dos pour me protéger du drame imminent que j’allais forcément découvrir. Les suppositions que j’ai pu faire étaient bien en deçà de « la réalité » à laquelle j’ai été confrontée. Après lecture, ce malaise est d’autant prégnant que je ne sais évaluer dans quelle mesure ce témoignage est ou non romancé. Beaucoup d’incertitudes d’autant que le mot de la fin, prononcé par le personnage principal, nous montre à quel point cette femme (Isabelle) est destructrice. Il m’est difficile d’en dire plus, je flirte avec le spoil et je trouverais déplorable de vous gâcher l’effet de surprise aussi troublant soit-il.
A vrai dire, je ne sais pas quel est l’objectif réel de Fred Pontarolo avec cet album. Souhaite-t-il nous interpeller ? Nous bousculer ? Partager un témoignage qui l’a profondément bouleversé ? Quelles hypothèses encore peuvent être de mise dans ce contexte ? On est intrigué, malmené. L’auteur nous donne bien peu d’os à ronger et le petit fil qu’il nous permet de saisir nous mène dans une impasse.
Les visuels concourent largement à faire exister ce sentiment d’insécurité durant la lecture. Des crayonnés sur lesquels s’appliquent des lavis dans des tons sépias-grisâtres-verdâtres délavés contribuent à nous mettre en tension. Peu de variations dans l’atmosphère monochrome des différents chapitres, juste le sentiment que le temps qui passe fait d’énormes ravages sur ces individus. Peu de personnages sont amenés à intervenir et je formulerais là un des rares griefs que j’ai à l’égard de cet ouvrage : une trop grande ressemblance physique entre l’épouse (Marion) et la maîtresse (Isabelle). La lecture de la première partie de l’album est donc freinée par cette difficulté à identifier l’une et l’autre, les quelques variations de leurs chevelures (couleur, ondulations…) sont inopérantes lorsque des jeux d’ombres sont présents ou, plus fréquemment, lorsque ces femmes sont de profil. Il est nécessaire de prendre du recul pour avoir une vision d’ensemble de la planche ou d’avancer dans la lecture des phylactères pour se situer dans le récit et reprendre la lecture là où on avait décroché.
Le Serpent d’Hippocrate
One Shot
Editeur : Futuropolis
Dessinateur / Scénariste : Fred PONTAROLO
Dessins d’enfants réalisés par Dorothée JOST
Dépôt légal : mars 2011
Bulles bulles bulles…