Au Québec, on parle le français! Plus qu’avant, mieux qu’avant. La langue française est prédominante partout, même à Montréal où vivent plus de citoyens de langue anglaise.
Avant la loi 101, statuée en 1977, c’était un free for all. Par exemple, au début de ma carrière d’ingénieur-conseil en 1958, la très grande majorité des grands entrepreneurs en plomberie, chauffage, ventilation et électricité était de langue anglaise. Lors de soumissions publiques pour la construction d’écoles, ils étaient presque toujours bas soumissionnaires au détriment des entreprises francophones qui souffraient d’une carence de personnel expérimenté et de moyens financiers. Un autre cas fut la construction du siège social de l’Hydro Québec, inauguré en 1962. Pour ce projet important entrepris par le gouvernement du Québec, les plans et devis d’architecture, de mécanique et d’électricité furent préparés uniquement en langue anglaise, et cela par des firmes-conseils francophones. Ces exemples démontrent bien que les droits linguistiques des Québécois et Québécoises étaient mal définis malgré qu’on affirmait alors que le Québec était la seule province du Canada à pratiquer le bilinguisme anglais-français au niveau institutionnel.
Avec la loi 101, quasi constitutionnelle, la langue de la majorité, le français, est devenue la langue officielle de l’État.
Le Québec a aussitôt changé, puisque ses objectifs nous donnaient le droit de communiquer en français avec le gouvernement, les ordres professionnels, les associations d’employés et les entreprises québécoises établis au Québec. De même, dans les assemblées délibérantes. Nos travailleurs pouvaient exercer leurs activités en français, les consommateurs être informés et servis en français, et les personnes aptes à l’enseignement le recevoir en français. C’était simple et normal.
Cette loi arriva au moment où le Québec commençait à former des individus techniquement capables d’entreprendre, de gérer des entreprises et même de prendre des risques financiers. En effet, les écoles scientifiques et commerciales bénéficiant de nouveaux bâtiments, lancés par Maurice Duplessis, pour l’université de Sherbrooke en 1954, l’École Polytechnique en 1956, la faculté des sciences à Québec inaugurée en 1962 et les HEC de Montréal, produisaient enfin un nombre grandissant de diplômés. L’atmosphère de la révolution tranquille ajoutait à l’enthousiasme et on vit germer partout sur le territoire de nouvelles entreprises de toutes catégories, propriétés de francophones. Plusieurs acquéraient des entreprises anglaises.
La peur de la loi 101 a cependant créé un tort appréciable au Québec, dit « le brain drain ». La société anglophone devint inquiète de son avenir. Ses familles les plus enracinées demeurèrent au Québec, mais un très grand nombre de leurs jeunes hommes et femmes d’affaires, diplômés universitaires, jeunes et moins jeunes, crurent bon de se réinstaller hors Québec. De 788 000 membres, la communauté anglaise diminua à 600 000 en 1971. De plus, depuis 1971, près de 20% des anglophones nés au Québec, bilingues et possédant des doctorats, continuent à nous quitter pour gagner ailleurs leur vie. Nous avons perdu une richesse de talents incroyables et j’ai mal en imaginant ce que seraient Montréal et le Québec si toutes ces personnes, qui nous connaissaient bien, étaient demeurées ici avec leurs descendants (qui aujourd’hui seraient bilingues).
Et il y a l’immigration. Un débat s’élève sur le critère de la connaissance et de l’apprentissage du français dans la grille québécoise de sélection des nouveaux immigrants. L’an dernier, le Québec a accueilli 53 000 nouveaux arrivants dont 33 000 travailleurs qualifiés et 2 000 gens d’affaires. 68 % maitrisaient bien le français. La majorité venait d’Afrique, particulièrement du Maghreb. Malheureusement, cette immigration s'est avérée insuffisante pour répondre à la demande des employeurs québécois pour des travailleurs de haute technicité.
En Ontario, et particulièrement à Toronto, les immigrants sont d’Asie. Ils sont plus riches, plus nombreux et plus techniquement qualifiés que ceux qui viennent au Québec. D’ailleurs, ça se répercute par le boom immobilier que Toronto connaît actuellement. Par exemple, une des nombreuses nouvelles tours à condos en construction est un édifice de 65 étages dont l’appartement le moins cher se vend environ 600 000$. Le promoteur est le montréalais Jonathan Weiner qui affirme avoir vendu en quelques semaines plus de 50% des condos. « On se bousculait pour les acheter et les acquéreurs sont de nouveaux arrivants asiatiques hautement instruits et compétents ». En général, ces derniers ne parlent que l’anglais comme langue seconde et Toronto est plus facilement accessible pour eux que le Québec comme porte d’entrée au Canada.
Voilà pourquoi Toronto a enlevé à Montréal, le titre de la grande ville canadienne qui compte le plus de sociétés nationales et internationales de haut niveau.
La question que plusieurs se posent maintenant est la suivante : « Doit-on, au Québec, davantage tenir compte des besoins des employeurs et accorder moins d’importance à la maîtrise initiale de la langue française ? ». En somme, doit-on favoriser l’immigration économique ? Cela ajouterait un nombre d’immigrants plus riches et plus éduqués à l’économie québécoise qui serait ainsi mieux soutenue.
Les indépendantistes québécois par la bouche du député péquiste Pierre Curzi répondent : « …le français est menacé, particulièrement dans la région de Montréal, il est tout à fait inadmissible de chercher à supprimer le critère de la langue française dans la sélection des nouveaux arrivants ». Leurs opposants diront que les nouveaux arrivants qui contrôlent moins bien le français devront de toute façon faire éduquer leurs descendants dans les écoles françaises du Québec et ceux-ci deviendront éventuellement des parlant français. Entretemps, l’économie québécoise aura profité de leur apport et sera plus forte pour tout le monde.
Comment calculer le coût de la langue française pour les Québécois ?
Au point de vue des objectifs de la loi 101 pour l’individu et sa langue, des nouvelles générations d’entrepreneurs francophones, du visage français de Montréal et de l’amélioration de la langue parlée et écrite, ce fut un gros gain.
Au point de vue de l’économie de Montréal et du Québec suite au « brain drain », au déménagement des entreprises à Toronto et de la constance depuis dans l’apport supérieur des immigrants à l’économie de la Ville-reine, ce fut une perte pour Montréal qui a été évidée de sa vigueur économique.
Doit-on modifier la loi 101 pour favoriser l’économie québécoise ? C’est la question actuelle. Pas facile à trancher…
Claude Dupras