Suite de mon billet sur l'indépendance nationale.
II Obsolescence du discours de l’indépendance
Or, ce discours gaullien de l’indépendance nationale paraît aujourd’hui obsolète.
21/ C’est le débat maastrichtien qui, le premier, a provoqué une entaille profonde.
Certes, la décennie 1980 avait vu la fin des illusions ou plutôt de celle d’une politique économique indépendante. Soyons plus précis encore : une nation non vertueuse et peu rigoureuse, qui pratique depuis trente ans des dévaluations compétitives, n’a plus d’autonomie économique. On l’a vu dès le tournant de la rigueur en 1983. Si chacun se réfère à Maastricht, l’essentiel était décidé dès l’acte unique européen de 1986.
On a donc inventé la notion de « transfert de souveraineté », y compris s’agissant de la monnaie, « attribut essentiel de souveraineté ». Toutefois, si la décision s’est cristallisée en 1992, elle n’intervenait qu’au terme d’une évolution trentenaire, depuis le traité de Rome en passant par l’arrêt Costa (1964) puis l’arrêt Nicolo (1989).
A tout le moins, on expliqua à l’époque qu’une « moyenne nation » (le grand discours giscardien) n’avait plus les moyens de sa politique et que face à la puissance états-unienne ou japonaise, il faut s’allier, et s’unir.
C’est au fond le pari français, celui de la démultiplication de puissance : choisissons l’Europe que nous dirigerons, elle sera le cache-nez de notre volonté, et notre indépendance apparemment abaissée sera au contraire transfigurée. Du Lampedusa (le vicomte, pas l’île) avant l’heure : il faut que tout change pour que rien ne change. Voire….
22/ Mais depuis Maastricht, deux évolutions ont marqué cet environnement :
La première est régionale et tient à l’élargissement très rapide de l’UE. Si l’on constate aujourd’hui une « fatigue des élargissements », elle est due aussi au constat que la machine semble ingouvernable. Or ce constat provoque en retour une tendance à plus d’ingouvernabilité, avec une lutte accrue entre le communautaire (aujourd’hui, plus le Parlement que la Commission), et l’intergouvernemental (le Conseil, dénoncé récemment par G. Verofstadt, en ce qu’il constitue un directoire des grands, finalement pas plus efficace). Mais la relance de l’intergouvernemental a paru récemment un moyen de reconquérir une « indépendance perdue ».
Autant dire que le pari de l'Europe comme multiplicateur de puissance peine à se réaliser, tel du moins qu'on l'avait rêvé en son temps. Cela ne signifie pas que le pari était mauvais : juste que le résultat n'est pas celui "imaginé" initialement. Cela peut en décevoir certains. D'autres retourneront dans le rêve, celui du monde d'avant. D'autres encore apercevront que si le résultat n'est pas conforme aux attentes, il n'est pas forcément mauvais. Au fond, peu importe.
Car cette tension se manifeste dans une deuxième évolution, pour le coup « globale » : celle de la mondialisation. On a cru au début qu’il ne s’agissait que d’une évolution technologique et économique, mais c’est bien plus que cela : c’est une planétisation qui se manifeste, avec un déclin de l’Occident (sans aucune référence Spenglerienne, que cela soit immédiatement précisé : on remarquera aussitôt que les parties de cet occident, Etats-Unis et Europe, conservent chacune des atouts propres). Autre marquant de cette planétisation : une compétition (concurrence) accrue pour des ressources de plus en plus rares, l’écologie rejoignant l’écologie.
Cette planétisation se manifeste dans un monde « zéro polaire » (Simon Serfaty) où la notion d’indépendance peine à se réinventer. Car si on a déjà du mal à concilier la France et l'Europe, on a encore plus de mal à articuler l'Europe méconnue à la mondialisation tourbillonnante. La relation à double détente relativise finalement la notion de l'indépendance : celle-ci, en effet, repose sur une dialectique classique entre le "eux" et le "nous". Or, la dialectique a du mal à appréhender les relations ternaires. C'est probablement une des causes de l'obsolescence de la notion d'indépendance nationale.
(à suivre)
O. Kempf