Imaginez-vous partir en voyage pour Haïti autour des années 1944 (année de la publication et du décès de l’auteur) pour résider durant 147 pages dans un minuscule village où la sécheresse éteint chaque parcelle de vie. Certains habitants, pourtant amoureux de leur terre nourricière, commencent à regarder la sortie de secours ; l’exil. Arrive de Cuba l’enfant prodigue, un sauveur, Manuel, fils de ses vieux parents Bienaimé et Délira qu’il retrouvent après plusieurs années. Par lui, le village passera par tous les états.
Cette recommandation en début de roman est précieuse :« rendez-vous au moins à la page 30 avant de vous sentir bien à l’aise avec les personnages, le style et le langage coloré de l’auteur ».
Ma lecture a avancé très lentement. J’avais besoin de ruminer chaque information apprise en tournant les pages, et pas seulement les trente premières. J’ai rarement lu aussi lentement. Même quand l’intrigue prend, comme un feu de broussaille allumé par un personnage fort, Manuel, je tenais mordicus à continuer d’avaler chaque mot comme la gorgée d’un nectar que je n’avais jamais goûté auparavant. Je me tenais aux lignes comme à des bouées, pour ne pas me perdre dans cet univers si différent de mes points de repère. Aucun besoin pour l’auteur d’user de stratèges pour mystifier l’intrigue, juste de nous amener avec lui dans l’observation des règles de vie à Fonds-Rouge, de ses paysages et ses mornes, ses cases, ses compères et commères, ses bons nègres et petits nègres m’a tenu en alerte. Cette nouvelle réalité pour moi, ce nouveau langage, me faisaient frôler le sentiment d’errer sur une autre planète.
La lectrice que je suis a découvert que sous ses apparences inaccoutumées ce pays est comme tous les autres pour cette règle universelle ; quand la misère est insoutenable, on s’entremange. Et les colères fermentent en vengeances. Des clans se forment dans un si petit village où l’union devrait être sa force pour se sauver d’une extinction progressive.
Il importe de conserver le cap sur l’année où se déroule l’action : 1944. Si j’y fais allusion, c’est que personnellement je connais Haïti surtout pour son ici et maintenant. Avec les Gouverneurs de la rosée, nous avons affaire à un roman qui transporte son lot de vieilles valeurs.
Les tensions parcourt tout le village, pas seulement la petite famille de Manuel et ses parents. Les dialogues sont théâtraux et certaines répliques s’approchent de l’art oratoire. On ne peut pas parler de style naturel, en tout cas pas du naturel auquel nous sommes habitués. Cependant, ces dialogues paraissent à peine empruntés, tellement le style charrie sa richesse d’images et de symboliques. Le rythme n’est pas soutenu, on y trouve des longueurs, ou peut-être devrais-je parler de langueurs. La chaleur plombe, assèche, fige même les pensées. J’ai lu ces langueurs à la quêtes de phrasées qui enchantent, allègent et redonnent l’élan pour aller de l’avant. Parce qu’il y en a tant à cueillir de ces mots joyaux .
Ce qui m’a le plus enchanté ? Le sentiment d’inconnu et certainement la langue poétique, impérissable, qui se fout du temps qui passe. Et le message rassembleur.
Et l'histoire riche en thèmes forts : vie, village, terre, eau, vengeance, source, se souvenir, solidarité, sauveur, sacrifice, soumission, exploitation, exil, loyauté, sentiment maternel, attraction homme-femme, respect pour l’âge.