C’est à cette question que tente de répondre le documentaire intitulé « Water makes money » et diffusé cette semaine sur Arte. Autrefois gérée par les municipalités, la délégation croissante d’exploitation de l’eau à des multinationales dans un contexte de PPP (partenariat public-privé), y est dénoncée comme un véritable gouffre financier pour les contribuables. Il accuse notamment directement ces groupes privés de privilégier la rentabilité à court terme plutôt que l’entretien des canalisations et la qualité sanitaire de l’eau distribuée.
Le film des réalisateurs allemands Leslie Franke et Herdolor Lorenz, dont le financement a été pour moitié participatif via une souscription par internet, relate des exemples récents de renégociation de contrats voire de retour en gestion publique de l’eau en France mais aussi à l’étranger, de Munich à Nairobi en passant par Bruxelles ou l’Amérique du Sud. Outre sa diffusion sur Arte le 22 mars 2011 à l’occasion de la journée mondiale de l’eau, ce documentaire militant est projeté dans 150 cinémas et lieux associatifs en France et en Europe depuis l’automne 2010.
Pour Jean-Luc Touly, fondateur de l’Association pour un contrat mondial de l’eau (ACME), salarié de Veolia licencié en 2006 après avoir écrit un livre dénonçant la marchandisation de l’eau mais réintégré depuis: « Un tel film n’aurait pas pu se faire en France. Au moins cinq télés ont commencé des enquêtes sur ce sujet avant de renoncer à le diffuser, sur pression de la direction des chaînes. »
« Ce film, clairement militant, est un outil de débat en faveur d’un retour en gestion publique de l’eau. Une gestion publique permet une meilleure qualité, à moindres coûts, et d’avoir une vision à long terme« , affirme Jérôme Polidor, diffuseur du film. « Le film se passe pour les deux tiers en France. La France a la particularité d’être le pays où la proportion de délégation de service public est quasiment inversée par rapport au reste du monde: près de 80% de l’approvisionnement en eau est géré par Suez, Veolia et la Saur« , note-t-il.
Fin 2010, Veolia, numéro 1 mondial du secteur, a porté plainte contre X pour diffamation en visant certains passages de ce documentaire l’accusant de corruption et de pratiques mafieuses, mais sans chercher à faire interdire la diffusion du film. « Ce film n’est pas un documentaire ni une enquête, c’est un film militant. C’est la liberté des auteurs. Mais le problème, à nos yeux, c’est que la médiocrité du contenu est extraordinaire par rapport à la réalité« , indique à l’AFP Marc Reneaume, directeur général adjoint de Veolia Eau. « Le fait que nous reconduisions aujourd’hui, rien qu’en France, plus de 90% de nos contrats tend quand même à prouver que les collectivités ont intérêt à faire intervenir des entreprises spécialisées« , ajoute-t-il. « On a l’impression que c’est un peu caricatural, à l’ancienne, on est en permanence dans l’opposition, privé contre public. Nous, on pense que les vrais enjeux sont ailleurs, sur la protection de la ressource, que le mode de gestion n’est pas une fin en soi« , estime Hélène Valade, directrice du développement durable pour Lyonnaise des Eaux. Cette action en justice menée par Veolia fait suite à celle engagée par Suez contre « Flow, For Love of Water », documentaire canadien sur les déboires de la privatisation de l’eau en Amérique latine, diffusé par Arte en 2008. Déboutée par le tribunal de grande instance de Paris, la compagnie vient de déposer un recours.
Pour accéder au documentaire sur Arte+7 (jusqu’au mardi 29 mars 2011)
Sources : Arte TV, AFP