Un Oeil-Enfant

Publié le 25 mars 2011 par Joseleroy

Voici une traduction d'un poème de Thomas Traherne (1637-1674) le poète mystique anglais.

Ici il nous parle de la nostalgie de l'enfance.

L'enfant voit l'absolu dans toute chose. L'adulte a perdu ce regard ; pour le retrouver il faut retourner la vision et dévouvrir les trésors qui nous attendent.

"UN ŒIL-ENFANT
Une lumière pure, à l'abri de toute corruption,
Un rayon qui est tout spirituel, un œil
Qui est vraiment vierge, voit les choses
Comme les voit la divinité,
C'est-à-dire que son éclat brille dans un sens céleste,
Et tout à l'entour il dispense (sans se mouvoir) sa lumière.
Les regards sont de vrais rayons de lumière,
Subtils, rares, perçants, vifs et purs.
Et comme ils surpassent en légèreté les vents,
Ils sont dignes d'avoir une durée bien plus grande.
Ils pénètrent bien loin au-delà de tout ce qu'atteint un air épais
Qui avec telle excellence ne peut se comparer.
Mais une fois avilis, bientôt ils deviennent
Moins actifs qu'auparavant; et alors
Ils courent après les objets qui les tirent de tous côtés
Et font de nous des hommes malheureux.
Un ,simple œil d'enfant est un tel trésor
Que quand il est perdu, nous n'éprouvons plus de réel plaisir.
Oh ! que ma vue n'a-t-elle été toujours pure !
Et jamais déchue en un état plus grossier !
Alors pourrais-je voir chaque objet encore (Comme je vois maintenant un plateau d'or)
Dans une telle lumière céleste que j'eusse pu lire
En lui et par lui ma félicité,
Planer aussi aisément là-haut que me mouvoir
Sur terre; des choses éloignées aussi bien que des choses proches
Seraient mes joies ; et je pourrais discerner l'amour
 De Dieu dans ma tranquillité.
Mais ils sont lourds les fleuves que les vents peuvent agiter,
Fleuves dont les corps plus lourds se meuvent nécessairement vers le bas.
L'orient était autrefois ma joie; et d'abord ainsi j'avais cette pensée
Des cieux et des étoiles; l'occident était mien;
Alors des louanges s'élevaient des montagnes
Comme des vapeurs; toute vigne
Portait pour moi ses fruits ; les champs étaient mes jardins.
Tout l'hémisphère était mon grand magasin.
Mais libertinage et avarice entrèrent
Et gâtèrent ma fortune; (mes plaintes ne peuvent
Cesser, tant que je ne serai purgé de mon péché
Et redevenu un enfant de nouveau)
De sorte que mon sens faible et mutilé
Atteignit seulement par son influence des choses proches.
Une maison, une main de femme, un ouvrage d'or
Une fête, un riche vêtement, la beauté d'une chair
Luttant avec l'ivoire, voilà ce que je regardais.
Et tout mon plaisir était dans le péché :
Moi qui d'abord, avec de simples yeux d'enfant,
Regardais comme miennes toutes les éternités.
O meurs, meurs à tout ce qui attire ton œil
Loin de ces premiers objets; que des plaisirs d'un jour
N'infectent pas mon esprit, mais prête attention
A leur dire adieu. Retourne-toi. Tes trésors
T'attendent toujours, sont encore à leur place
T'invitant encore, prêts à tes ordres."

Traherne, traduit par Jean Wahl.