Si le coup diplomatique français a été unanimement salué, la mise en œuvre tourne au coup d’épée dans l’eau. Hier pointés du doigt pour leur frilosité, nos voisins allemands avaient sans doute raison : on ne suit pas aveuglément son vibrionnant voisin quand lui-même ne sait pas où il va.
“Cette guerre est un piège” écrit Edwy Plenel dans Mediapart . A froid, on est toujours plus intelligent. Mais l’ancien journaliste du Monde est sans doute dans le vrai. Plus surprenant, son analyse selon laquelle “depuis le premier jour de sa présidence, Nicolas Sarkozy cherche sa guerre” est partagée par la revue américaine Foreign Policy . Arthur Goldhammer estime que, “le soulèvement libyen vient de donner au président Nicolas Sarkozy une occasion qu’il guettait depuis longtemps : la possibilité de prendre la tête d’une mission internationale risquée qui recèle la promesse d’une gloire future“.
Le journaliste américain n’est pas tendre avec le chef de l’Etat français. Le titre (”De Gaulle, he ain’t“) que l’on pourrait traduire par “N’est pas de Gaulle qui veut“, donne le ton.
L’intervention militaire est en effet cousue de fil blanc. Faire oublier les errements de politique étrangère française et créer une diversion sur la scène intérieure. Obliger surtout au passage, ce qui a marché, l’opposition à se ranger au garde à vous derrière le président de la République.
BHL aura été à la fois l’élément déclenchant et la caution morale de l’Elysée. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Les conditions et le dimensionnement du soutien aux insurgés libyens semblent ne pas avoir fait l’objet d’une analyse assez poussée. Zorro, ça ne marche qu’à la télé. La situation, kafkaïenne, ne se règlera pas par le lâché de quelques bombinettes ici ou là sauf à passer à une phase beaucoup plus active et à armer les rebelles.
C’est d’ailleurs par là qu’il aurait peut être fallu commencer. Dieu merci, en vieux renards la Russie et la Chine ont imposé dans la résolution de l’ONU que soit inscrite noir sur blanc la non intervention de forces terrestres.
Reste alors un terrible doute. Et si effectivement Edwy Plenel et Arthur Goldhammer avaient raison ? Nicolas Sarkozy, grand ami de George Bush, ne serait-il pas en train de vouloir sa croisade, son Irak à lui avec son dictateur et son pétrole ? Comment expliquer sinon le coupable silence français face à l’écrasement de la contestation au Bahreïn par l’armée saoudienne et la très grande retenue manifestée dans la situation explosive de la Côte d’Ivoire ?
N’est pas George W Bush qui veut. Même monté sur ses ergots le coq français ne peut rivaliser avec le taureau américain. La reprise en main de l’opération Libyenne est un camouflet pour la France qui ne dispose pas des moyens de ses ambitions. Une France qui au final confirme aux yeux des autres nations son statut de puissance déclinante dans ses capacités d’intervention, incapable d’inscrire celles-ci sur du moyen terme sans le soutien logistique de l’OTAN. Souvent comparé à Napoléon le petit, Nicolas Sarkozy nous ramène à l’intervention française au Mexique de 1861 avec le succès que l’on sait.
Désormais, sans que rien ne soit réglé sur le plan militaire, la France veut encourager les Européens à soutenir plus franchement le Conseil national libyen (CNT) de Benghazi, émanation de l’opposition. Un conseil qui, selon Paris, devra cependant élargir sa base et sa représentativité à toutes les régions de la Libye et à toutes les catégories sociales. Le problème c’est que les européens ne connaissent pas mieux la société libyenne que les américains les irakiens lorsqu’ils avaient entrepris de déboulonner Saddam Hussein.
L’aventure libyenne laisse surtout sur le carreau le couple franco-allemand. Attiré par le monde anglo-saxon autant qu’un moustique par un lampadaire, le chef de l’Etat français prend le risque de délaisser nos voisins d’outre-rhin pour leur préférer ceux d’outre-manche dans une Entente Cordiale restaurée.
Or quand le couple franco-allemand tousse c’est l’Europe qui s’enrhume. Au moment où se profilent le sauvetage du Portugal par la zone euro et la question de la gouvernance économique de l’UE, c’est plus qu’embêtant. C’est une erreur politique.
Complément :
- La génération des génocides (Le Soir)
-Arrêt sur images : décryptage de la couverture médiatique
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