On ne peut rien apprendre aux gens. On peut seulement les aider à découvrir qu'ils possèdent déjà en eux tout ce qui est à apprendre. (Galilée)
Pour acquérir de nouvelles connaissances, on peut évidemment suivre un cours magistral ou lire un ouvrage de référence. Beaucoup de connaissances déjà produites sont formalisées et se prêtent à une simple transmission.
Mais peut-on apprendre à conduire une voiture uniquement en lisant un livre ? C'est peu probable, et certainement inefficace. La conduite est un exemple de savoir-faire, c'est-à-dire un ensemble de connaissances en grande partie tacites, difficile voire impossible à exprimer et à formaliser en intégralité.
Pour acquérir ce savoir, il faut en fait le faire produire directement par l'apprenti. Mais comment produit-on des connaissances ?
Le modèle SECI
Nonaka et Takeushi ont identifié en 1995 dans leur ouvrage The Knowledge-Creating Company quatre formes de production de connaissances. Leur analyse s'appuie d'une part sur le caractère tacite ou explicite des connaissances dont on se sert (on ne peut produire des connaissances à partir de rien), et d'autre part sur le caractère tacite ou explicite de la connaissance qui va être produite.
Il y a donc 4 types de production des connaissances, dont les initiales donnent leur nom à leur modèle :
- la socialisation : la production d'un savoir tacite à partir d'un savoir tacite,
- l'externalisation : la production d'un savoir explicite à partir d'un savoir tacite,
- la combinaison : la production d'un savoir explicite à partir d'un savoir explicite,
- et l'internalisation : la production d'un savoir tacite à partir d'un savoir explicite.
L'externalisation consiste à transformer des connaissances tacites, basée sur une expérience (des cas rencontrés, des observations, des intuitions...) en connaissances formalisables. Cela se traduit par la production de concepts, de règles ou encore de méthodes. Une connaissance tacite ainsi externalisée engendre une connaissance explicite qui peut être facilement formalisée et transmise.
C'est bien sûr le métier des chercheurs, mais c'est aussi un mode d'apprentissage très naturel pour tout un chacun : un enfant est capable très tôt de comprendre à travers l'observation des règles (les voitures font du bruit quand elles roulent, les cerises sont rouges, les fruits sont sucrés...) et de générer des concepts (les messieurs et les madames, la saleté...). En fait, la plupart des professionnels produisent des connaissances par externalisation, par la rédaction de rapports ou de notes de synthèse.
La combinaison consiste à utiliser plusieurs connaissances explicites pour créer de nouvelles connaissances. Il peut s'agir d'un raisonnement conduisant à un nouveau résultat théorique, de la conception d'un nouveau produit, de la construction d'un prototype, ou encore de la synthèse de plusieurs procédures dans une méthode.
La combinaison est une activité typique de l'ingénierie, où il s'agit souvent de proposer une solution technique à un problème en utilisant des savoirs techniques connus (réglementation, ouvrages de références) et des méthodes classiques du domaine (calcul, démarche systématique). Très souvent, c'est par la combinaison que les innovations apparaissent. La combinaison est donc foncièrement créatrice de nouvelles connaissances.
Enfin, l'internalisation consiste essentiellement à développer un savoir-faire en suivant initialement un savoir théorique, à apprendre en faisant. La connaissance explicite, en décrivant les tâches à réaliser, guide la production de connaissances tacites réalisant plus efficacement les tâches (plus rapidement, plus précisément, avec plus d'assurance...), notamment par la répétition.
Cette méthode de production de connaissances tacites est la base des entraînements sportifs : tout rugbyman connaît le principe du drop (lâcher le ballon, attendre le rebond, puis taper le ballon au pied), mais un rugbyman qui s'entraîne beaucoup à ce geste deviendra plus efficace car il enverra le ballon plus loin et plus précisément qu'un rugbyman qui ne s'entraîne pas, sans même faire intervenir la connaissance théorique du drop dans la réalisation de son geste. En pratique, comme un sportif de haut niveau, un expert se montre plus habile qu'un novice par l'entraînement : sa pratique du métier rend ses gestes plus précis, son intuition se développe. Il ne fait progressivement plus appel au savoir faire théorique qui lui a permis de débuter, car il a produit une connaissance tacite plus efficace.
Production de connaissances et transmission
Il est évident que le médiateur technique n'est pas un producteur de connaissances, mais qu'il en favorise la transmission. Pourtant, il lui est utile de connaître les techniques de production de connaissances.
Ainsi, lorsque la connaissance qu'un expert doit transmettre est d'un type relativement explicite, ou au moins exprimable, le médiateur technique utilisera des techniques d'élicitation, qui reviennent à aider l'expert à externaliser son savoir.
Au contraire, lorsque cette connaissance est fortement tacite, le médiateur ne cherchera pas à l'éliciter, mais demandera à l'expert de transmettre son savoir à l'un des employés de son client par une forme de compagnonnage, c'est-à-dire qu'il fera intervenir la socialisation.
Notons également qu'une mission de médiation technique fait également intervenir la créativité pour identifier des pistes de recherche. Ces pistes sont des idées nouvelles produites à partir des connaissances du client et du médiateur quand à la ressource technique recherchée (quelle industrie y fait appel, à quelle autre ressource ressemble-t-elle...), il s'agit donc de faire appel à la combinaison, comme toute activité créative.
L'internalisation n'est en revanche pas vraiment un mode de production pertinent pour le médiateur technique : dans la mesure où le client a obtenu des connaissances explicites d'un expert tiers, ses employés pourront par eux-même développer un savoir-faire par la pratique et son encadrement veillera lui-même à l'entraînement de ses employés.