C’est un Musée de la Faïence, couplé avec un Musée des techniques faïencières, tout ce qu’il ya de plus classique, de la collection d’assiettes aux grands panneaux pour brasseries alsaciennes, intéressant, pédagogique, représentatif, mais pas exactement le genre d’endroit pour lequel je me lève à 6h un samedi matin pour faire deux heures de train. Oui mais les musées de Sarreguemines accueillent aussi un sculpteur contemporain, homme de fantaisie débordante et de folie hybridante, qui travaille la terre et la céramique, Jean Fontaine et son exposition Humanofolies (jusqu’au 21 septembre). Ce jour-là celui-ci conduisait un stage de moulage sur corps - technique décriée sous Rodin (”daguerréotype en sculpture” disait Delacroix) et réhabilitée depuis (voir la Présidente Sabatier) - et la jeune modèle émergeait d’une heure dans un bain de plâtre à 35° fatiguée et extatique, comme une re-naissance.
Mais ce sont les sculptures de Jean Fontaine qui m’intéressaient d’abord, moi qui n’ai pas pour les arts du feu la passion de tant de zélotes. Ce sont des monstres nés d’une imagination entre Jérôme Bosch et les cyborgs, des greffes d’êtres humains et de machines, des implants mécaniques sur des courbes de chair. Le corps se dote de roues, d’engrenages, de pinces, d’isolateurs et devient machine, de guerre, de vitesse, de jeu ou de plaisir. L’obsession pour ces mutants en devient délirante, drolatique, extravagante. La sensualité des peaux, des courbes du corps se heurte au sadisme des mécaniques impitoyables. La poésie nait des ces ailes d’anges, fragments en attente de greffe peut-être, fines comme celles des libellules et tachées de rouille ou de sang. Comme chez Bosch, le tragique semble l’emporter.
Tout est fait en céramique, et c’est merveille de voir le velouté des peaux, la texture des chairs et la rudesse d’engrenages ou de boulons qu’on croirait en métal. Ses créatures, outre une salle d’exposition au Musée en ville, peuplent l’espace de l’ancienne usine au milieu du parcours pédagogique sur les techniques de la faïence. Souhaitons aux enfants des écoles de Sarreguemines en visite ici avec leur école de rêver longtemps de cette fée électricité polymaste.
Une autre petite exposition (jusqu’au 3 avril) présente les travaux de cinq lauréats de l’Institut des Arts de la Céramique de Guebwiller. Là aussi, pour certains, une créativité insoupçonnée : Irène Mascret recueille en forêt des (gros) cailloux, les brise à coup de hache, puis tente de les reconstituer en rassemblant les morceaux avec des bandes de caoutchouc, travail de déconstruction et de reconstruction, non seulement mentalement (chaque caillou étant associé à un événement de sa vie), mais aussi tout à fait physiquement (‘Fragments’).
Quant à Jessy Geffray, en bonne céramiste, elle a réalisé un superbe service de table, assiettes décorées, verres de cristal, couverts en argent, comme chez ma belle-mère ; mais l’installation se nomme ‘Mesdames, Messieurs, Bonsoir’, et les images du journal télévisé, guerres, catastrophes et famines, ont sauté dans nos assiettes. C’est simple et fort, c’est surtout un habile détournement d’un médium souvent trop classique, trop intemporel.
Juliana Cerqueira Leite devrait venir par ici. Dernière image, dans le Musée de la Faïence, cet étonnant service à café où le décor arboricole est en fait le résultat d’une montée de colorant par capillarité, fait du hasard et non du pinceau, décor achéiropoiète.
Photos de l’auteur.