Le carrousel

Par Anne Onyme

Jennifer Tremblay
Les éditions de la Bagnole
70 pages

Résumé:

Alors qu'elle prend la route pour aller au chevet de sa mère mourante, la narratrice interpelle l'âme de Marie, sa grand-mère morte, et lui pose la question qui l'obsède : "Pourquoi cette grille qui se refermait sur ma mère se referme-t-elle encore sur moi?" S'amorce une quête, dans un dédale de souvenirs, tissés dans sa mémoire par les exigences d'Éros et de Thanatos. Ainsi se construisent et se déconstruisent les certitudes d'une femme marquée par un paysage impitoyable. La joie l'emporte pourtant, envers et contre tout, dans un dernier tour de carrousel.

Mon commentaire:

J'ai pratiquement tout lu de Jennifer Tremblay. J'aime énormément sa façon d'écrire. Ses livres, souvent à mi-chemin entre le roman, le théâtre et le récit, scandent les mots. Son écriture est dépouillée pour ne garder que l'essentiel: des mots qui portent droit au coeur, à l'émotion, au trouble. Car l'écriture de Jennifer Tremblay me trouble toujours beaucoup. J'ai le sentiment de la suivre aveuglément, au hasard, sans savoir où je vais. J'ai l'impression de retenir mon souffle à chaque page. Son oeuvre est un coup de poing et j'en ai pour des jours à penser à ses textes, à y revenir, longtemps après avoir tourné la dernière page. Pour moi, c'est une auteure majeure de notre littérature, qui va où personne ne semble être allé avant elle. Et j'aime ça.

Le carrousel est un très court récit qui parle de la famille et du lien mère-fille principalement. La narratrice parle également de ses propres enfants et de l'histoire familiale. Surtout de sa mère et de sa grand-mère. De l'héritage que nous laisse ceux qui passent avant nous. Ici, ce sont surtout les femmes qui sont au coeur de l'histoire. Les aïeules ont souffert. Elles ont des secrets profondément enfouis. Elles n'ont pas eu la vie facile. Les hommes sont plus effacés mais leur présence pèse parfois lourd dans le coeur des femmes. Ils ont apporté des joies comme des peines. Ce que l'on découvre entre les lignes est violent, triste, plein d'impuissance.

La narratrice vit par procuration, l'espace d'un instant, le passé de sa famille. Elle-même mère de garçons, elle espère être différente de celles qui l'ont précédée, elle espère faire mieux et que ses enfants connaissent plus de joies que de peines. Chaque chapitre est un tour de carrousel. Il y en a trente. Trente tours pour revisiter toute l'histoire familiale.

Le carrousel est une sorte de suite à La liste, paru il y a quelques années. Les deux récits traitent de sujets difficiles et les deux sont des livres qui marquent et que l'on n'oublie pas. Ces récits sont d'étonnantes petites plaquettes qui sont pourtant très marquantes. L'imaginaire et les thèmes abordés dans les livres de Jennifer Tremblay sont riches, intelligents, dérangeants et émouvants. C'est une auteure qu'il faut lire.

Un extrait:

"Les femmes ne sont des femmes qu'en surface mes fils.
Elles restent.
Dans le noir.
Derrière les portes.
Sous leur lit. Des petites filles effrayées.
Soyez attentifs.
Mes fils.
Soyez ces hommes que les femmes espèrent connaître." p.80