Un principe consensuel
Alors que l’on pourrait à première vue penser que la laïcité reste un principe clivant justifiant ainsi son utilisation politique intense, les différentes études réalisés sur cette problématique ces dernières années nous suggèrent plutôt le contraire. 75% des Français déclaraient ainsi en février 2005 que la laïcité était un élément essentiel (23%) ou très important (52%) de l’identité des Français, seuls les plus jeunes (59% chez les 18-24 ans) et les ouvriers (63%) étant un peu moins convaincus en proportion (CSA / CNAL). Fait remarquable, cette perception est peu clivée politiquement, les sympathisants de droite (80%) et les sympathisants de gauche (76%) étant peu ou prou d’accord, seuls les sympathisants des Verts (66%) ou de l’extrême-gauche (60%) se montrant un peu moins unanimes.
Autre élément d’analyse, cette même laïcité arrivait en mars 2008 en deuxième position des grands principes républicains plébiscités par les Français dans un sondage IFOP / La Croix avec 30%, derrière le suffrage universel (41%) mais bien devant la liberté syndicale (12%), la liberté d’association (9%) ou la libre constitution des partis politiques (8%). Il est à noter que cette notion est davantage plébiscitée par les « sans religion » (38%) que par les catholiques pratiquants (19%) et pour les habitants de l’agglomération parisienne (40%) que pour les communes rurales (24%), deux distinctions qui se recoupent d’ailleurs en partie. Il semble donc que la laïcité soit profondément ancrée dans l’imaginaire républicain des Français.
Une loi de 1905 indépassable
Pourquoi ce quasi consensus ? Cette défense de la laïcité est en réalité très liée à l’histoire française. D’abord parce que les guerres cathares et le massacre de la Saint-Barthélémy ont marqué au fer rouge l’imaginaire collectif français. Ensuite parce que le souvenir de la lutte du clergé catholique contre les débuts de la Troisième République ont fini de persuader la majorité des citoyens français que la religion devait rester confinée à la sphère privée. Cette histoire n’est pas qu’un lointain souvenir puisque, toujours en mars 2008, 87% des Français pensaient que « les religions peuvent créer des tensions au sein de la société française » et 77% que « la religion relève de la vie privée et les autorités religieuses ne devraient pas prendre position publiquement sur les grands enjeux de société ». Le signe que la loi de 1905 reste la garante d’une certaine tranquillité publique, un équilibre qu’il serait dangereux de bousculer.
Laïcité n’est pas hostilité
La laïcité est d’ailleurs elle même avant tout vécue comme une ouverture à toutes les religions plus que comme un rempart contre toutes. 54% des Français estimaient ainsi en janvier 2008 dans un sondage IFOP / Valeurs Actuelles que la laïcité était avant tout » la possibilité laissée à chaque citoyen de pratiquer sa religion », bien avant « l’interdiction de manifester son appartenance religieuse dans les services publics » (22%), « l’absence de participation de l’État de l’édification des lieux de culte » (12%) ou « le refus de tout communautarisme » (12%). Une culture de tolérance donc, apaisée des luttes parfois violentes qui ont accompagné sa fondation en 1905.
Une crispation croissante à l’égard de l’Islam
Si consensus il y a sur le bien fondé du principe de laïcité, c’est de moins en moins le cas sur sa situation aujourd’hui. On voit ainsi apparaitre depuis quelques années de nombreux débats plus ou moins « voilés » sur la place de l’Islam en France, et une crispation croissante de certains Français vis-à-vis d’une religion qui n’existait pas sur le sol national quand la loi de 1905 a été gravée dans le marbre. 58% des Français estimaient ainsi pour le centième anniversaire de cette loi (sondage CSA / CNAL cité plus haut) que la laïcité est aujourd’hui en danger en France, 40% pensant l’inverse. Une opinion par ailleurs assez diffuse dans la population, tous les groupes sociaux étant à peu près également clivés sur le sujet, même si les catholiques semblent moins inquiets (50%) que les sans-religion (62%).
D’une manière plus générale les Musulmans français ne semblent pas rejeter, bien au contraire, le principe de laïcité : en août 2008, 75% d’entre eux se disaient ainsi favorables au principe de séparation de l’Etat et des religions (CSA / Le Monde des religions). Tout semble donc indiquer une défiance croissante vis-à-vis d’un Islam accusé d’incompatibilité avec la laïcité alors que la pratique de l’Islam en France a elle peu à voir avec celle de certains pays musulmans qui effraient une partie de l’opinion française. Elle ne semble en tout cas pas incompatible avec l’identité française, seuls 22% des Musulmans se considérant « d’abord comme musulman » dans le même sondage quand 60% se voient « autant comme Français que comme musulman » et 14% « d’abord comme Français ».
Réformer la laïcité ?
Que faire dans ce cas du cadre de la laïcité ? Les Français privilégient, on l’a vu plus haut, le statu quo à toute réforme, même partielle. Ainsi certains ajustements, qui pourraient assurer l’équité de traitement entre les religions, sont fermement rejetés. Le financement public de construction de nouveaux lieux de culte est une mauvaise chose pour 57% d’entre eux alors que 78% des Musulmans y seraient eux favorables (CSA / CNAL et CSA / La Vie). C’est encore plus évident sur une éventuelle retouche à notre calendrier chrétien : 64% pensent que ce serait une mauvaise chose de laisser aux autres religions la possibilité de choisir d’autres jours fériés quand 63% des Musulmans y sont favorables.
Au delà même du cadre franco-français, une majorité de Français était également hostile à une référence à l’héritage chrétien de l’Europe dans la Constitution de 2005 : 51% étaient satisfaits qu’elle n’ait pas été inscrite quand 35% le regrettaient et 14% ne se prononçaient pas (CSA / CNAL, février 2005). Les catholiques étaient d’ailleurs eux-mêmes satisfaits à 52% de cette absence de référence. La preuve que la loi de 1905, même si elle n’est peut-être qu’un plus petit dénominateur commun, semble toujours satisfaire une large majorité des Français. A un tel point que Marine Le Pen, appartenant pourtant à un parti qui a longtemps lutté pour imposer une conception strictement catholique de l’identité française, se sent aujourd’hui obligée de se faire laïque pour espérer percer politiquement. L’hommage du vice à la vertu ?
* contre 64% de catholiques et 8% d’autres religions (essentiellement musulmans, protestants et juifs)
Interrogés en novembre 2009 dans un sondage TNS-Sofres / La Croix sur ce qui rapproche le plus les gens entre eux, seuls 6% des Français répondaient la religion, bien derrière le milieu social (41%), le lieu de résidence (31%) ou la culture (33%). Paradoxe apparent, on n’a pourtant jamais autant parlé de la place des religions dans la société française, et plus particulièrement de cette fameuse « laïcité » évoquée par tous et qui recouvre pourtant des significations très disparates. De son apparition très récente dans le vocable du FN version Marine Le Pen à son usage très « Troisième République » chez Jean-Luc Mélenchon au débat éponyme lancé par l’UMP, la laïcité semble être devenue une poule au oeufs d’or pour politiques en manque d’arguments de campagne. A quoi peut donc bien correspondre en 2011 le concept de laïcité pour les Français ?