Igort © Futuropolis – 2010
En 2008, Igort s’est rendu deux ans en Ukraine. Un voyage qui matérialise une quête personnelle, une forte envie de découvrir « ces noms exotiques que j’entendais chez moi depuis l’enfance, Kiev, Odessa, Poltava, Sébastopol, Leopoli, Yalta » pour reprendre les propos de l’auteur.
L’idée d’en faire un album semble être venue ensuite. Je le cite encore :
« Il suffit de gratter un peu pour entendre s’écouter, sous la discrétion soviétique, l’envie d’être écouté. Je me suis retrouvé là au moment où avait lieu le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin. J’ai tendu l’oreille pour écouter les histoires et j’ai décidé de les dessiner. Je ne pouvais tout simplement pas les garder pour moi. Ce sont des histoires vraies de personnes rencontrées par hasard dans la rue à qui il a été donné de vivre à l’étroit dans l’étreinte du rideau de fer ».
A quelques dix planches du début de la lecture, nous avons déjà largement eu le temps de mesurer la portée de ce qui nous est donné de lire. On ne peut qu’être émus de la sincérité des propos de chacun des protagonistes et de la gravité des actes qu’ils ont souhaité relater. Des vies brisées, « d’un autre temps » peut-on dire, Nous, Européens de l’Ouest qui n’avons jamais connus tels événements (du moins, pas ceux de ma propre génération ni même de la génération de mes parents).
A l’aide d’enregistrements audio, de prises de notes, de croquis, Igort nous livre un témoignage poignant sur l’histoire des hommes et des femmes qu’il a croisés pendant son voyage.
Nous revisitons, par leur intermédiaire, une période sensible de l’histoire de l’Union Soviétique. De Lénine à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, nous (re)découvrons une population ukrainienne livrée à la peur, à la famine (celle de 1932), au génocide, à l’asservissement, au cannibalisme, au capitalisme, aux goulag… Les gens se confient à Igort malgré la peur qui les tenaille encore. Une peur ancrée dans leur chair, un peuple prisonnier de ses démons et du régime politique en place. Les Cahiers ukrainiens est un objet rare qui traite avec prudence et respect de l’Histoire de l’Ukraine pendant le XXème siècle et des effets nocifs de l’étau soviétique imposant une chape de silence et terrorisant les populations sous leur emprise.
A l’aide de crayonnés et de jeux de hachures, Igort met en images les propos qu’il a recueillis. Quelques ambiances conservées en noir et blanc mais dans l’ensemble, c’est à l’aide sépias délavés qu’il campe une atmosphère lourde, intimiste qui met en exergue toute la souffrance qui émane de cette mémoire collective, toute cette souffrance à fleur de peau présente chez chacun de ces individus.
Une lecture conseillée par Cécile (dans cet article), cet avis intègre le Challenge PAL Sèches
Une lecture douloureuse et bouleversante qu’il est difficile de soutenir. Je n’ai pu m’empêcher d’avoir pitié de ces pauvres gens, un sentiment souvent négatif pourtant c’est que je j’ai ressenti à la lecture de tous ces drames qui se succèdent ici.
L’avis de Catherine et celui de Cécile.
Extrait :
« District de Vyssokopolsk. Le 16 février, à Zagradovka, le jeune Nikolaï, 13 ans, est mort dans la famille d’un paysan pauvre. Sa mère F. et sa voisine Anna S. ont coupé le cadavre en morceaux et l’ont servi avec les plats qui avaient été préparés. Presque la totalité du corps a été consommée. Il ne restait que la tête, les pieds et une partie de l’épaule, une paume de la main, la colonne vertébrale t quelques côtes. Toutes les parties du corps ont été retrouvées dans le sous-sol de l’isba. F. a expliqué son geste par l’absence totale de nourriture. Il lui reste trois enfants, tous gonflés. Une aide a été apportée à cette famille » (Les cahiers ukrainiens, tome 1).
Les Cahiers Ukrainiens
Tome 1 : Mémoires du temps de l’URSS
Série en cours
Éditeur : Futuropolis
Dessinateur / Scénariste : IGORT
Dépôt légal : juin 2010
ISBN : 9782754802666
Bulles bulles bulles…
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