Dès les premières images, on comprend que le projet artistique porté à l’écran ne sera pas un documentaire «classique».
29e Festival internatinal du film sur l'art - Karkwa, des chemins jusqu'aux cendres
Le réalisateur français Nathanaël Le Scouarnec présente Les Cendres de verre, sur le groupe montréalais
par Philippe Papineau, le Devoir, le 24 mars 2011
Suivre le groupe québécois Karkwa en tournée armé de caméras, c'était le plan du réalisateur français Nathanaël Le Scouarnec. Le résultat, un «carnet de route» hachuré de petits films en forme de clips, est présenté ce soir et samedi au FIFA.
Ça commence par une piqûre. Pas une bête morsure d'insecte, mais plutôt une sympathie partagée. À l'été 2009, l'équipe du site Internet français La Blogothèque, férue de musique «indie» de partout dans le monde, se rend au studio La Frette, en banlieue parisienne, pour filmer avec le groupe montréalais Karkwa un nouvel épisode des populaires «Concerts à emporter».
Prenant quelques heures de pause de l'enregistrement de leur disque Les Chemins de verre, les cinq musiciens suivent le réalisateur Nathanaël Le Scouarnec le temps d'une escapade musicale filmée. Et ça clique. «Très vite, ils étaient dans l'esprit, raconte Le Scouarnec. On était tout de suite en confiance alors qu'on se connaissait depuis 20 minutes. Ils étaient drôles, naturels. Je crois qu'on a eu un coup de coeur commun.»
Dans la tête du cinéaste, ces petites capsules Web mutent tranquillement en un projet artistique plus complet et éclaté, qui deviendra Les Cendres de verre. Le film, qui montre Karkwa sur la route, est présenté ce soir et samedi dans le cadre du 29e Festival international du film sur l'art, puis du 9 au 14 avril au cinéma du Parc, à Montréal.
Mosaïque éclatée
Les Cendres de verre commence aussi par une piqûre. Par La Piqûre, un titre du dernier album de Karkwa, récompensé l'an passé du prix Polaris du meilleur disque canadien. Dans les premières images, la poussière sous les projecteurs se confond avec des étoiles dans la Voie lactée, des éclaboussures de peintures côtoient des volutes de fumée, des vortex de lumière... On sait rapidement que ce ne sera pas un documentaire «classique».
Sans voix hors champ ni presque aucune entrevue, le film nous apprend peu de choses factuelles sur Karkwa, pas même le nom des gars. Là n'était pas l'objectif du réalisateur âgé de 29 ans, collègue de Vincent Moon sur les films Miroir noir, sur Arcade Fire, et Burning, sur Mogwai. Le Scouarnec et son équipe montent sur scène avec le groupe et entrecoupent les captations de petites oeuvres de fiction, des vidéoclips en quelque sorte. La trame sonore est bien sûr tissée des pièces de Karkwa, surtout celles de leur dernier opus. Et l'ensemble passe du noir et blanc à la couleur, du ralenti à l'hypersaccadé.
«Je voulais faire une espèce de mosaïque, sans enchaînement, comme un livre où on aurait un nouvel état d'esprit à chaque page, explique Nathanaël Le Scouarnec. Moi, je m'ennuie quand je regarde la plupart des films live, il manque de diversité de points de vue. Là, je voulais une richesse d'axes, de regards, pour essayer de retranscrire la générosité et l'ambition de Karkwa sur scène.»
Louis-Jean Cormier, le chanteur du groupe, n'a jamais été dérangé par la présence des caméras sur scène, qui ont pourtant filmé sous tous les angles. «C'est la grande force de Nathanaël et de son équipe, ils ont la belle qualité d'être des petits fantômes, très discrets, raconte-t-il. En même temps, c'est un gars très passionné, quand il décolle, il décolle pas à peu près!»
La fatigue
À travers Les Cendres de verre, on voit cinq musiciens cernés, crevés, bâillant à se décrocher les mâchoires. Mais le public, lui, veut des flammes, pas des cendres. «On était un peu zombie à ce moment-là, explique Louis-Jean Cormier. C'était la fin de la production de notre disque, et la tournée continuait. Julien [Sagot, percussionniste] venait tout juste de composer la pièce-titre du disque, Les Chemins de verre, qui parle du contraste en nous, qui étions blêmes, et le public qui grandissait et qui en voulait plus.» C'est dans ce combat que le groupe se révèle le plus attachant.
Nathanaël Le Scouarnec aimerait bien que son film puisse toucher un public européen, par les festivals de films et même les festivals musicaux. Il n'y a pas de doute pour lui que Karkwa y fera écarquiller quelques yeux. «Avant de les rencontrer, j'étais assez peu intéressé par la musique francophone. Mais depuis Karkwa, je m'y intéresse beaucoup plus. Et ils ont pas mal fait cet effet-là aux gens de mon entourage, et plus généralement aux amateurs de musique. Karkwa, c'est une vraie révélation, c'est la preuve qu'on peut encore faire du rock en chantant en français. Alors que nous, en France, depuis Noir Désir, on a quand même des difficultés avec ça...»