Magazine Humeur

De l'ingérence humanitaire.

Publié le 25 mars 2011 par Feuilly

Je reviens sur cette guerre en Libye, qui est loin d’être une mince affaire. Ce sur quoi je voudrais réfléchir, en fait, c’est le droit d’ingérence humanitaire.

Quand les premières révoltes ont eu lieu en Tunisie, surprenant le monde entier, je me suis indigné comme tout un chacun lorsque la police de Ben Ali a commencé à tirer sur la foule.

La même situation s’est ensuite reproduite en Egypte, provoquant la même réprobation dans l’opinion internationale.

L’Empire américain, qui soutenait depuis toujours ces deux régimes, a senti que le vent tournait et qu’il fallait désormais s’appuyer sur d’autres intervenants s’il voulait rester crédible. Lui qui avait pourtant été autrefois à la base des pires dictatures latino-américaines n’a pas hésité un instant. Il a demandé à Ben Ali et à Moubarak de s’en aller. On les remerciait pour les services rendus, mais on leur faisait comprendre que leur temps était révolu et qu’il fallait maintenant quitter la scène. C’est que l’Empire sait où sont ses intérêts et il n’allait pas compromettre ceux-ci pour soutenir ses anciens amis, qui ne sont que des hommes finalement.

Les deux dictateurs n’eurent pas le choix. Après s’être fait un peu tirer l’oreille, ils ont compris qu’ils avaient tout à perdre en restant au pouvoir, à commencer par la vie. Comme ils avaient de plantureux comptes d’épargne à l’étranger et qu’ils étaient déjà âgés, ils sont donc partis discrètement à la retraite, ce qui arrangeait bien tout le monde (ceci dit, ce n’est qu’une fois qu’ils eurent quitté le pouvoir que certains pays étrangers ont décidé de bloquer leurs comptes en banque. On ne sait pas comment les intéressés auraient réagi s’ils avaient eu connaissance de cette mesure avant d’abdiquer).

Quand la révolte a commencé en Libye, certains se sont frotté les mains. On allait enfin être débarrassé du colonel Kadhafi. Malheureusement, celui-ci, fidèle à lui-même, n’était pas du genre à partir. De plus, la répression qu’il avait commencée à l’encontre du mouvement insurrectionnel se montrait plus sanglante encore qu’en Tunisie et en Egypte. Dès lors, que fallait-il faire ? Rester passif et contempler les massacres ? Position difficile à tenir. Prendre les armes et s’interposer ? C’est ce qu’on a fait. Peut-être a-t-on bien fait. Je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est que la situation est beaucoup plus complexe qu’on ne veut bien le dire.

Va-t-on se contenter de la Libye ou va-t-on intervenir dans tous les pays arabes où les manifestants sont malmenés ?

Pourquoi par exemple parle-t-on beaucoup de la Syrie, où une centaine de manifestants seraient déjà morts (fait inacceptable, on est bien d’accord). Va-t-on aussi intervenir là-bas ?

Pourquoi ne parle-t-on jamais dans les journaux parlés de ce qui se passe à Bahreïn ? L’armée saoudienne est pourtant entrée dans ce petit état pour aider le pouvoir en place à faire régner l’ordre. Il y a eu beaucoup de manifestants tués.

Pourquoi ne parle-t-on jamais non plus de ce qui se passe en Arabie Saoudite ? Ce pays serait-il épargné par la vague de contestation qui déferle sur le monde arabe ?

On constate donc que les soulèvements populaires suscitent surtout des réactions de la part de l’Occident lorsqu’ils ont lieu dans des pays qui lui sont peu favorables.

Interviendra-t-on en Arabie ou à Bahreïn ? Cela m’étonnerait. Cela m’étonnerait même beaucoup.

L’Empire américain a-t-il perdu de son influence dans les pays qui se sont soulevés ? Non évidemment. En Tunisie c’est toujours l’ancienne équipe qui dirige. Quant à l’Egypte, c’est l’armée qui est au pouvoir. La même armée qui a toujours toléré les bombardements de Gaza (et qui a contribué à isoler cet îlot palestinien du reste du monde en fermant hermétiquement ses frontières) et qui les tolère encore aujourd’hui. Une armée qui se présente comme la garante de la démocratie mais qui s’est contentée de proposer des amendements à la Constitution et qui s’est bien gardée d’en proposer une toute nouvelle. Une armée qui à mon avis tirera également sur le peuple le jour où celui-ci réclamera de vraies réformes.

Revenons à la Lybie. Le mandat de l’ONU prévoit qu’il faut empêcher les massacres. On nous dit que la première phase de l’opération militaire est un succès et que Kadhafi ne peut plus employer son aviation ni déplacer ses chars. Victoire donc. On nous dit aussi avec fierté qu’un avion français vient d’abattre un appareil libyen qui venait de se poser. Tiens donc, ce n’est pas contradictoire, cela ? Kadhafi pourrait-il encore se servir d’une partie de son aviation ?

Au journal d’Antenne de 20H, on invite l’inévitable BHL. Le même qui dans son « Testament de Dieu » expliquait qu’Israël était le peuple choisi et rien que lui. Le même qui était venu nous raconter qu’il fallait attaquer l’Irak à cause des armes de destruction massive. Le même qu’on retrouve partout dès que les intérêts israéliens sont en jeu quelque part.

Qu’est-il venu nous dire aujourd’hui ? Que la première phase (sécuriser l’espace aérien) était un franc succès. Que les rebelles tardaient un peu à reprendre l’offensive, mais qu’il allait suffire de les armer pour parvenir à nos fins. Les armer ? Tiens donc ! Je croyais que le mandat de l’ONU nous demandait simplement de nous interposer entre les belligérants et d’empêcher Kadhafi de nuire ? Le journaliste lui-même semblait étonné de cette affirmation. On va donc armer les opposants ? Bien sûr dit BHL, d’ailleurs l’armée égyptienne le fait déjà, afin « d’aider ses frères ». Comprenez : cette armée est à la solde des USA et elle va nous aider à former les opposants libyens. Ce sont de simples citoyens, mais avec un peu d’entraînement ils devraient arriver à renverser Kadhafi. Tiens, s’étonne le journaliste. On ne sort pas un peu du mandat de l’ONU, là ? Et BHL de répondre que quitter la Lybie sans renverser Kadhafi n’aurait aucun sens. C’est vrai bien entendu et on le savait, mais je suis désolé, ce n’est pas ce que l’ONU avait dit. BHL ajoute en substance que nous ne devons pas avoir mauvaise conscience puisque c’est la ligue arabe elle-même qui a réclamé les frappes (comprenez : les régimes favorables aux USA : l’Arabie etc.). Et BHL conclut que de toute façon il faut se préparer à une guerre longue. Tiens cela n’avait pas été dit non plus, cela.

Notons en passant, puisque la guerre va être longue, qu’elle va nous coûter cher. Un missile Tomahawk coûte 1,5 million de dollars pièce. A charge des contribuables des différents pays de l’alliance. Lesquels devront aussi supporter l’augmentation du prix du baril de pétrole. D’accord, il ne faut pas regarder à l’argent quand il s’agit de faire tomber un tyran et promouvoir la démocratie, mais quand même…

A une époque où tous les pays sont endettés et où on sabre dans les budgets des services publics pour essayer vainement d’arriver à un équilibre budgétaire, il est étonnant que personne ne se soit posé la question. Mais si au moins nous étions certains que nos efforts allaient contribuer au bonheur du peuple libyen, nous les consentirions avec plaisir. Cependant, on a vu ce qu’a donné en Irak cette ingérence étrangère avec appui de l’armée. Certes le dictateur est parti, mais que reste-t-il de l’Irak ? Un état divisé, appauvri, humilié. Il ne faudrait pas qu’une fois les Occidentaux partis, la Libye tombe dans la guerre civile. C’est qu’il y aura eu tellement de morts des deux côtés, que cela n’aidera pas à la fraternité entre les différentes tribus qui composent ce pays. Vous l’avez compris, comme en Irak, il faudra une longue présence étrangère pour assurer la stabilité après le départ de Kadhafi. Nous gèrerons la partie Est, là où sont les puits de pétrole et nous affaiblirons au maximum la partie Ouest…

Pour conclure, je reviens à ma question initiale sur le droit à l’ingérence humanitaire. Bien comprise, elle semble un devoir (quid cependant des soldats libyens tués qui ne font finalement que leur métier ?). Mais je ne suis pas certain justement qu’on ne se serve pas de nos bons sentiments simplement pour agrandir notre zone d’influence économique et politique en faisant basculer la Libye dans notre camp. En nous faisant payer la note, bien entendu.

Il ne restera plus alors qu’à éliminer la Syrie et l’Iran et la pax americana pourra régner sur une moitié du monde, pour le plus grand profit de quelques-uns.

Dunes-de-Libye-au-soleil-couchant.jpg


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